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55

La première édition du Voyage de 1603 est d'une excessive rareté. Il n'y en a, jusqu'à ce jour, qu'un seul exemplaire de connu; c'est celui de la Bibliothèque Impériale de Paris. Nous devons à l'extrême obligeance de M. l'abbé Verreau, la copie qui a servi à cette présente édition.

Des Sauvages: tel est le titre que l'auteur donna à sa première publication; tandis que ses autres relations sont intitulées Voyages. L'auteur a-t-il choisi ces mots uniquement pour piquer la curiosité du lecteur, à une époque ou l'on n'avait encore sur les sauvages que quelques récits plus ou moins fabuleux? ou bien a-t-il voulu donner à entendre par là, qu'il ne publiait cet opuscule que comme un épisode d'un voyage dont il n'avait pas le commandement en chef? Cette dernière supposition expliquerait un peu pourquoi le nom de Pont-Gravé ne figure ni dans le titre, ni dans les préliminaires, bien qu'il fût officiellement chargé de la56conduite de l'expédition. Quoiqu'il en soit, il semble que la chose ait été remarquée dans le temps; car la Chronologie Septénaire, qui reproduit ce voyage, a presque l'air de vouloir tirer une petite vengeance en ne mentionnant que le nom de Pont-Gravé, sans dire même que la relation fût de Champlain.

L'auteur, dans son édition de 1632, a peut-être voulu réparer cette omission, qui était de nature à blesser un peu la susceptibilité de celui qu'il respectait comme son père. «Après la mort du sieur Chauvin, dit-il, le Commandeur de Chaste obtint nouvelle commission de Sa Majesté, et, d'autant que la dépense était fort grande, il fit une société avec plusieurs gentilshommes et principaux marchands de Rouen et d'autres lieux... Le dit Pont-Gravé, avec commission de Sa Majesté (comme personne qui avait déjà fait le voyage, et reconnu les défauts du passé), fut élu pour aller à Tadoussac, et promet d'aller jusques au saut Saint-Louis, le découvrir et passer outre, pour en faire son rapport à son retour, et donner ordre à un second embarquement.»

C'était donc Pont-Gravé qui était commissionné pour ce voyage, et ce n'était que justice de le mentionner.

(Il n'y a pas
de page 57)


ii/58

DES

SAUVAGES

OU

VOYAGE DE SAMUEL

CHAMPLAIN DE BROUAGE,

FAIT EN LA FRANCE NOUVELLE,

L'an mil six cens trois:

Contenant:

Les moeurs, façon de vivre, mariages, guerres & habitation des Sauvages de Canadas.

De la descouverte de plus de quatre cens cinquante lieues dans le païs des Sauvages. Quels peuples y habitent; des animaux qui s'y trouvent; des rivieres, lacs, isles & terres, & quels arbres & fruicts elles produisent.

De la coste d'Arcadie, des terres que l'on y a descouvertes, & de plusieurs mines qui y sont, selon le rapport des Sauvages.

A PARIS,

Chez CLAUDE DE MONSTR'OEIL, tenant sa boutique en la cour du Palais au nom de Jésus.

=================================================

Avec privilége du Roy.




iii/59

EPISTRE

TRES NOBLE HAUT &
PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE
CHARLES DE MONTMORENCY,
Chevalier des Ordres du Roy,
Seigneur d'Ampville & de Meru,
Comte de Secondigny, Vicomte de
Meleun, Baron de Chateauneuf &
de Gonnort, admiral de france &
de Bretagne.

onseigneur,

Bien que plusieurs ayent escript quelque chose du pays de Canadas, je n'ay voulu pourtant m'arrester à leur dire, & ay expressement esté sur les lieux pour pouvoir rendre fidèle tesmoignage de la vérité, laquelle vous verrez (s'il vous plaît) au petit discours que je vous adresse, lequel je vous supplie d'avoir pour agreable, & ce faisant, je prieray Dieu, Monseigneur, pour votre grandeur & prosperité, & demeureray toute ma vie

iv/60

Votre très humble &
obeïssant serviteur,

S. CHAMPLAIN.







v/61

LE SIEUR DE LA FRANCHISE

AU DISCOURS

DU SIEUR CHAMPLAIN.

Muses, si vous chantez, vraiment je vous conseille

Que vous louiez Champlain, pour estre courageux:

Sans crainte des hasards, il a veu tant de lieux,

Que ses relations nous contentent l'oreille.

Il a veu le Pérou 1, Mexique & la Merveille

Du Vulcan infernal qui vomit tant de feux,

Et les saults Mocosans 2, qui offensent les yeux

De ceux qui osent voir leur cheute nonpareille.

Il nous promet encor de passer plus avant,

Réduire les Gentils, & trouver le Levant,

Par le Nort, ou le Su, pour aller à la Chine.

C'est charitablement tout pour l'amour de Dieu.

Sy des lasches poltrons qui ne bougent d'un lieu!

Leur vie, sans mentir, me paroist trop mesquine.

DE LA FRANCHISE.




Note 1: (retour) Champlain a bien été jusqu'à Mexico, comme on peut le voir dans son Voyage aux Indes Occidentales; mais il ne s'est pas rendu au Pérou, que nous sachions.
Note 2: (retour) Mocosa est le nom ancien de la Virginie. Cette expression, saults Mocosans, semble donner à entendre que, dès 1603 au moins, l'on avait quelque connaissance de la grande chute de Niagara.



vi/62

EXTRAICT DU PRIVILEGE.

PAR privilege du Roy donné à Paris le 15 de novembre 1603, signé Brigard.

Il est permis au Sieur de Champlain de faire imprimer par tel imprimeur que bon luy semblera un livre par luy composé, intitulé. Des Sauvages, ou Voyage du Sieur de Champlain, fait en l'an 1603, & sont faictes deffenses à tous libraires & imprimeurs de ce Royaume, de n'imprimer, vendre & distribuer ledict livre, si ce n'est du consentement de celuy qu'il aura nommé & esleu, à peine de cinquante escus d'amende, de confiscation & de tous despens, ainsi qu'il est plus amplement contenu audit privilege.

Ledict Sieur de Champlain, suivant son dit privilege, a esleu & permis à Claude de Monstr'oeil, libraire en l'université de Paris, d'imprimer le susdict livre, & luy a cédé & transporté son dit privilege, sans que nul autre le puisse imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer, durant le temps de cinq années, sinon du consentement dudict Monstr'oeil, sur les peines contenues audit privilege.

vii/63

TABLE DES CHAPITRES.

ref du discours, où est contenu le Voyage depuis Honfleur en Normandie jusques au port de Tadousac en Canadas. Chap. I.

Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des Sauvages de Canada, leurs festins & dances, la guerre qu'ils ont avec les Irocois, la façon & de quoy sont faicts leurs canots & cabanes: avec la description de la poincte de Sainct Mathieu. Chap. II.

La rejouissance que font les Sauvages après qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs; endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions; parlent aux diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges, avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts. Chap. III.

Riviere du Saguenay, & son origine. Chap. IV.

Partement de Tadousac pour aller au Sault; la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans & de plusieurs autres isles, & de nostre arrivée à Québec. Chap. V.

De la poincte Saincte Croix, de la riviere de Batiscan, des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Québec jusques aux Trois-Rivieres. Chap. VI.

Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on voit dans le pays de la riviere des Irocois, & de la forteresse des Sauvages qui leur font la guerre. Chap. VII.

Arrivée au Sault, sa description, & ce qui s'y void de remarquable, avec le rapport des Sauvages de la fin de la grande riviere. Chap. VIII.

Retour du Sault à Tadousac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & commencement de la riviere de Canadas; du nombre des saults & lacs qu'elle traverse. Chap. IX.

Voyage de Tadousac en l'isle Percée; description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouvent plusieurs sortes de mines. Chap. X.

Retour de l'isle Percée à Tadousac, avec la description des anses, ports, rivieres, isles, rochers, saults, bayes & basses, qui sont le long de la coste du Nort. Chap. XI.

viii/64Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la guerre: Des Sauvages Almouchicois & de leurs monstrueuses formes. Discours du sieur Prevert de Sainct Malo, sur la descouverture de la coste d'Arcadie, quelles mines il y a, & de la bonté & fertilité du pays. Chap. XII.

D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. Chap. XIII.




1/65

DES SAUVAGES

ou

VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN

faict en l'an 1603.





Bref discours où est contenu le voyage depuis Honfleur en Normandie, jusques au port de Tadousac en Canadas.

CHAPITRE PREMIER.

ous partismes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit jour, nous relaschasmes à la rade du Havre de Grace, pour n'avoir le vent favorable. Le dimanche ensuyvant, 16e jour dudit mois, nous mismes à la voille pour faire nostre route. Le 17 ensuyvant, nous eusmes en veue D'orgny & Grenesey 3, qui sont des isles entre la coste de Normandie & Angleterre. Le 18 dudit mois, eusmes la congnoissance de la coste de Bretagne. Le 19 nous faisions estat, à 7 heures du soir estre le travers de Ouessans. Le 21, à 17 heures4 du matin, nous rencontrasmes 7 vaisseaux flamans, qui, à nostre 2/66jugement, venoient des Indes. Le jour de Pasques, 30 dudit mois, fusmes contrariez d'une grande tourmente, qui paroissoit estre plustost foudre que vent, qui dura l'espace de dix-sept jours, mais non si grande qu'elle avoit faict les deux premiers jours, & durant cedict temps, nous eusmes plus de déchet que d'advancement. Le 16e jour d'apvril, le temps commença à s'adoucir, & la mer plus belle qu'elle n'avoit esté, avec contentement d'un chacun; de façon que continuans nostre dicte route jusques au 28e jour dudit mois, que rencontrasmes une glace fort haulte. Le lendemain, nous eusmes congnoissance d'un banc de glace qui duroit plus de 8 lieues de long, avec une infinité d'autres moindres, qui fut l'occasion que nous ne pusmes passer; & à l'estime du pilote les dittes glaces estoient à quelque 100 ou 120 lieues de la terre de Canadas, & estions par les 45 degrez 2/3, & vinsmes trouver passage par les 44.

Note 3: (retour) Avrigny et Guernesey.
Note 4: (retour) Il est évident qu'il faut lire «7 heures,» vu qu'il n'est point question d'une observation astronomique; d'ailleurs, même dans son Traité de la Marine, Champlain sépare le jour en deux fois douze heures.

Le 2 de may, nous entrasmes sur le Banc à unze heures du jour par les 44. degrez 2/3. Le 6 dudict mois, nous vinsmes si proche de terre, que nous oyons la mer battre à la coste; mais nous ne la peusmes recongnoistre pour l'espaisseur de la brume dont ces dittes costes sont subjectes, qui fut cause que nous mismes à la mer encores quelques lieues, jusques au lendemain matin, que nous eusmes congnoissance de terre, d'un temps assez beau, qui estoit le cap de Saincte Marie 5.

Note 5: (retour) Jean Alphonse mentionne ce nom, de même que celui des îles Saint-Pierre, dès l'année 1545, dans sa Cosmographie. (Biblioth. impériale, ms. fr. 676.)

Le 12e jour ensuyvant, nous fusmes surprins d'un 3/67grand coup de vent, qui dura deux jours. Le 15 dudict mois, nous eusmes congnoissance des isles de Sainct Pierre. Le 17 ensuyvant, nous rencontrasmes un banc de glace, prés du cap de Raie, qui contenoit six lieues, qui fut occasion que nous amenasmes toute la nuict, pour éviter le danger où nous pouvions courir. Le lendemain, nous mismes à la voille, & eusmes congnoissance du cap de Raye, & isles de Sainct Paul, & cap de Sainct Laurens6, qui est terre ferme à la bande du Su; & dudict cap de Sainct Laurens jusques audict cap de Raie il y a dix-huict lieues, qui est la largeur de l'entrée de la grande baie de Canadas 7. Ce dict jour, sur les dix heures du matin, nous rencontrasmes une autre glace qui contenoit plus de huict lieues de long. Le 20 dudict mois, nous eusmes congnoissance d'une isle qui a quelque vingt-cinq ou trente lieues de long, qui s'appelle Anticosty8, qui est l'entrée de la 4/68riviere de Canadas 9. Le lendemain, eusmes congnoissance de Gachepé10, terre fort haulte, & commençasmes à entrer dans la dicte riviere de Canadas, en rangeant la bande du Su jusques à Mantanne11, où il y a, dudict Gachepé, soixante-cinq lieues. Dudict Mantanne, nous vinsmes prendre congnoissance du Pic 12, où il y a vingt lieues, qui est à laditte bande du Su; dudict Pic, nous traversasmes la riviere jusques à Tadousac, où il y a quinze lieues. Toutes ces dittes terres sont fort haultes élevées, qui sont sterilles, n'apportant aucune Commodité.

Note 6: (retour) Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproché du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est éloigné de deux lieues.
Note 7: (retour) Cette expression «baie de Canada», pour désigner le golfe Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont été employés simultanément; car on voit, par la carte de Thévet, que le golfe Saint-Laurent portait, dès 1575, le même nom qu'aujourd'hui. Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accordés à appeler Communément la Grande-Baie, est cette partie du golfe comprise entre la côte du Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve.
Note 8: (retour) L'île d'Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom d'Anticosti, de même que ceux de Gaspé, de Matane, de Tadoussac et autres, était déjà suffisamment connu à cette époque, pour que Champlain se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, dès l'année 1586, Thévet, dans son Grand Insulaire, dit «que les sauvages du pays l'appellent Naticousti»; ce que confirme Lescarbot du temps même de Champlain: «Cette ile est appellée, dit-il, par les Sauvages du païs Anticosti.» D'un autre côté, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans doute des voyageurs qu'il cite, l'appelle Natiscotec, et Jean de Lact adopte, sans dire pourquoi, l'orthographe de Hakluyt. «Elle est nommée, dit-il, en langage des sauvages Natiscotec.» Ce dernier nom se rapproche davantage de celui de Natascoueh (où l'on prend l'ours), que lui donnent aujourd'hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui donna le nom d'Ile de l'Assomption. Soit erreur, soit antipathie pour le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse l'appellent Ile de l'Ascension. Thévet la mentionne, dans sa Cosmographie universelle, sous le nom de Laisple, et, dans son Grand Insulaire, il l'appelle, comme Cartier, «Isle de l'Assomption, laquelle, ajoute-t-il, d'autres nomment de Laisple
Note 9: (retour) Le fleuve Saint-Laurent.
Note 10: (retour) Ou Gaspé. Suivant M. l'abbé J.-A. Maurault, ce nom serait une contraction du mot abenaquis «Katsepisi, qui est séparément, qui est séparé de l'autre terre.» On sait, en effet, que le Forillon, aujourd'hui miné par la violence des vagues, était un rocher remarquable séparé du cap de Gaspé.
Note 11: (retour) Ou Matane. Jean Alphonse l'appelle rivière de Caën.
Note 12: (retour) Le Bic. Au temps de Jean Alphonse, on l'appelait Cap de Marbre. Jacques Cartier, en 1535, avait donné au havre du Bic le nom d'Isleaux Saint-Jean, parce qu'il y était entré le jour de la Décollation de saint Jean.

Le 24 dudict mois, nous vinsmes mouiller l'ancre devant Tadousac 13, & le 26 nous entrasmes dans le dict port qui est faict comme une anse, à l'entrée de la riviere du Sagenay, où il y a un courant d'eau & marée fort estrange pour sa vitesse & profondité, où quelques fois il vient des vents impétueux 14 à cause de la froidure qu'ils amènent avec eux. L'on tient que laditte riviere a quelque quarante-cinq 5/69ou cinquante lieues jusques au premier sault, & vient du costé du Nort-Norouest. Ledict port de Tadousac est petit, où il ne pourroit15 que dix ou douze vaisseaux; mais il y a de l'eau assés à l'Est, à l'abry de la ditte riviere de Sagenay, le long d'une petite montaigne qui est presque coupée de la mer. Le reste, ce sont montagnes haultes élevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sable remplis de bois de pins, cyprez16, sapins, & quelques manières d'arbres de peu. Il y a un petit estang proche dudit port, renfermé de montaignes couvertes de bois. A l'entrée dudict port, il y a deux poinctes: l'une, du costé de Ouest, contenant une lieue en mer, qui s'appelle la poincte de Sainct Matthieu17; & l'autre, du costé de Su-Est, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la poincte de tous les Diables 18. Les vents du Su & Su-Suest & Su-Sorouest frappent dedans ledict port. Mais, de la pointe de Sainct Matthieu jusques à la pointe de tous les Diables, il y a prés d'une lieue, l'une & l'autre pointe asseche de basse mer.

Note 13: (retour) Le P. Jérôme Lalemant (Relation 1646) dit que les sauvages appelaient Tadoussac Sadilege; d'un autre côté, Thévet, dans son Grand Insulaire, affirme que les sauvages de son temps appelaient le Saguenay Thadoyseau. Il est probable qu'à ces diverses époques, comme encore aujourd'hui, on prenait souvent l'un pour l'autre. Ce qui est sûr, c'est que ces deux noms sont sauvages: Tadoussac ou Tadouchac, veut dire mamelons, (du mot totouchac, qui en montagnais veut dire mamelles), et Saguenay signifie eau qui sort (du montagnais saki-nip).
Note 14: (retour) La copie originale portait probablement «importuns». Lescarbot, qui reproduit ce voyage à peu près textuellement, a mis: «des vents impétueux lesquels amènent avec eux de grandes froidures.»
Note 15: (retour) Le verbe pouvoir s'employait alors activement, en parlant de la capacité des objets.
Note 16: (retour) Comme il n'y a pas de vrai cyprès en Canada, on pourrait croire d'abord que Champlain veut parler ici du pin gris, que nos Canadiens appellent vulgairement cyprès, et que l'on trouve surtout dans les environs du Saguenay, mais, outre que Champlain mentionne ici le pin d'une manière générale, si l'on compare les différents endroits où il parle du cyprès, on en viendra à la conclusion qu'il a voulu par ce terme désigner notre cèdre (thuja), qui est un arbre très-commun dans toutes les parties du pays; tandis que le pin gris ne s'y rencontre pas partout. La chose devient évidente, si l'on fait attention que les feuilles du thuja ont beaucoup de ressemblance avec celles du cyprès. «Ses feuilles, dit Du Hamel, en parlant du thuja (Traité des Arbres et Arbustes), sont petites, comme articulées les unes aux autres, et elles ressemblent à celles du cyprès.»
Note 17: (retour) Dans l'édition de 1613, Champlain l'appelle encore pointe Saint-Matthieu, «ou autrement aux Alouettes.» Aujourd'hui elle n'est plus connue que sous ce dernier nom.
Note 18: (retour) Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Cette pointe a changé de nom du vivant même de l'auteur. Dans l'édition de 1632, elle est appelée pointe aux roches; mais il nous semble évident que ce dernier nom doit être attribué à l'inadvertance de l'imprimeur: car Sagard, qui publiait, cette année-là même, son Grand Voyage au pays des Hurons, mentionne cette pointe à plusieurs reprises, et l'appelle absolument comme nous l'appelons aujourd'hui, la pointe aux Vaches. D'ailleurs la ressemblance que peuvent avoir, dans un manuscrit, les deux mots roches et vaches, rend l'erreur tout à fait vraisemblable.




6/70

Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des Sauvages de Canadas, leurs festins & danses, la guerre qu'ils ont avec les Iroquois, la façon & de quoy sont faits leurs canots & cabannes: avec la description de la poincte de Sainct Matthieu.

CHAPITRE II.

Le 27e jour, nous fusmes trouver les Sauvages à la poincte de Sainct Matthieu, qui est à une lieue de Tadousac, avec les deux sauvages que mena le Sieur du Pont, pour faire le rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne réception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied à terre, nous fusmes à la cabanne de leur grand Sagamo 19, qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvasmes avec quelque quatre-vingts ou cent de ses compagnons qui faisoient tabagie (qui veut dire festin), lequel nous receut fort bien selon la coustume du pays, & nous feit asseoir auprés de luy, & tous les sauvages arrangez les uns auprés des autres des deux costez de la ditte cabanne. L'un des sauvages que nous avions amené commença à faire sa harangue de la bonne réception que leur avoit fait le Roy, & le bon traictement qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que saditte Majesté 7/71leur voulloit du bien, & desiroit peupler leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les Irocois), ou leur envoyer des forces pour les vaincre: en leur comptant aussy les beaux chasteaux, palais, maisons & peuples qu'ils avoient veus, & nostre façon de vivre. Il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus. Or, après qu'il eut achevé sa harangue, ledict grand Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouy, il commença à prendre du Petun, & en donner audict Sieur du Pont-Gravé de Sainct Malo & à moy, & à quelques autres Sagamos qui estoient auprés de luy. Avant bien petunné, il commença à faire sa harangue à tous, parlant pozément, s'arrestant quelquefois un peu, & puis reprenoit sa parolle en leur disant, que véritablement ils devoient estre fort contents d'avoir saditte Majesté pour grand amy. Ils respondirent tous d'une voix: Ho, ho, ho, qui est à dire ouy, ouy. Luy, continuant tousjours saditte harangue, dict qu'il estoit fort aise que saditte Majesté peuplast leur terre, & fist la guerre à leurs ennemis; qu'il n'y avoit nation au monde à qui ils voullussent plus de bien qu'aux François: Enfin il leur fit entendre à tous le bien & l'utilité qu'ils pourroient recevoir de saditte Majesté. Après qu'il eut achevé sa harangue, nous sortismes de sa cabanne, & eux commencèrent à faire leur tabagie ou festin, qu'ils font avec des chairs d'orignac, qui est comme boeuf, d'ours, de loups marins & castors, qui sont les viandes les plus ordinaires qu'ils ont, & du gibier en quantité. Ils avoient huict ou dix chaudieres pleines de viandes, au milieu de laditte cabanne, 8/72& estoient esloignées les unes des autres quelques six pas, & chacune a son feu. Ils sont assis des deux costez (comme j'ay dict cy-dessus), avec chascun son escuelle d'escorce d'arbre: & lorsque la viande est cuitte, il y en a un qui fait les partages à chascun dans lesdittes escuelles, où ils mangent fort salement; car, quand ils ont les mains grasses, ils les frottent à leurs cheveux ou bien au poil de leurs chiens, dont ils ont quantité pour la chasse. Premier que leur viande fust cuitte, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en alla saulter autour desdittes chaudières d'un bout de la cabanne à l'autre. Estant devant le grand Sagamo, il jetta son chien à terre de force, & puis tous d'une voix ils s'escrierent: Ho, ho, ho: ce qu'ayant faict, s'en alla asseoir à sa place. En mesme instant, un autre se leva, & feit le semblable, continuant tousjours jusques à ce que la viande fut cuitte. Or, après avoir achevé leur tabagie, ils commencèrent à danser, en prenant les testes de leurs ennemis, qui leur pendoient par derrière, en signe de resjouïssance. Il y en a un ou deux qui chantent en accordant leurs voix par la mesure de leurs mains, qu'ils frappent sur leurs genoux; puis ils s'arrestent quelquefois en s'escriant: Ho, Ho, ho, & recommencent à danser, en tournant comme un homme qui est hors d'haleine. Ils faisoient cette resjouïssance pour la victoire par eux obtenue sur les Irocois, dont ils avoient tué quelque cent, aux quels ils coupèrent les testes qu'ils avoient avec eux pour leur cérémonie. Ils estoient trois nations quand ils furent à la guerre, les Estechemins, Algoumequins & Montagnez 20, 9/73au nombre de mille, qui allèrent faire la guerre auxdicts Irocois, qu'ils rencontrèrent à l'entrée de la riviere desdicts Irocois 21, & en assommerent une centaine. La guerre qu'ils font n'est que par surprise; car autrement ils auroient peur, & craignent trop lesdicts Irocois, qui sont en plus grand nombre que lefdicts Montagnés, Estechemins & Algoumequins.

Note 19: (retour) Sagamo veut dire en montagnais grand chef. D'après Mgr Laflèche, ce mot est composé de tchi, grand (pour kitchi), et de okimau, chef; tchi okinau, grand chef.
Note 20: (retour) Les Etchemins, appelés plus tard Malécites, habitaient principalement le pays situé entre la rivière Saint-Jean et celle de Pentagouet ou Pénobscot. Les Algonquins qui se trouvaient en ce moment à Tadoussac, y étaient descendus probablement pour la traite; car leur pays était situé sur l'Outaouais et au-delà. Les Montagnais, à proprement parler, étaient chez eux; car ils habitaient surtout le Saguenay et les pays environnants.
Note 21: (retour) La rivière de Sorel.

Le 28e jour dudict mois, ils se vindrent cabanner audict port de Tadousac, où estoit nostre vaisseau. A la poincte du jour, leur dict grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant autour de toutes les autres cabannes, en criant à haulte voix, qu'ils eussent à desloger pour aller à Tadousac, où estoient leurs bons amis. Tout aussy tost un chascun d'eux deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledict grand capitaine le premier commença à prendre son canot, & le porter à la mer, où il embarqua sa femme & ses enfants, & quantité de fourreures, & se meirent ainsy prés de deux cents canots, qui vont estrangement; car encore que nostre chalouppe fust bien armée, si alloient-ils plus vite que nous. Il n'y a que deux personnes qui travaillent à la nage, l'homme & la femme. Leurs canots ont quelques huict ou neuf pas de long, & large comme d'un pas ou pas & demy par le milieu, & vont tousjours en amoindrissant par les deux bouts. Ils sont fort subjects à tourner 10/74si on ne les sçait bien gouverner, car ils sont faicts d'escorce d'arbres appellée bouille22, renforcez par le dedans de petits cercles de bois bien & proprement faicts, & sont si légers qu'un homme en porte un aisément, & chaqu'un canot peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre, pour aller à quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux.

Note 22: (retour) Écorce de bouleau.

Leurs cabannes sont basses, faictes comme des tentes, couvertes de laditte escorce d'arbre, & laissent tout le haut descouvert comme d'un pied, d'où le jour leur vient, & font plusieurs feux droit au millieu de leur cabanne, où ils sont quelques fois dix mesnages ensemble. Ils couchent sur des peaux, les uns parmy les autres, les chiens avec eux.

Ils estoient au nombre de mille personnes, tant hommes que femmes & enfans. Le lieu de la poincte de Sainct Matthieu, où ils estoient premièrement cabannez, est assez plaisant. Ils estoient au bas d'un petit costeau plein d'arbres, de sapins & cyprès. A laditte poincte, il y a une petite place unie, qui descouvre de fort loin; & au dessus dudict costeau, est une terre unie, contenant une lieue de long, demye de large, couverte d'arbres; la terre est fort sablonneuse, où il y a de bons pasturages. Tout le reste, ce ne sont que montaignes de rochers fort mauvais. La mer bat autour dudict costeau, qui asseiche prés d'une grande demy lieue de basse eau.





11/75

La resjouïssance que font les Sauvages après qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs, endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions, parlent aux Diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges; avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts.

CHAPITRE III.

Le 9e jour de Juin, les Sauvages commencèrent à se resjouïr tous ensemble & faire leur tabagie, comme j'ay dict cy-dessus, & danser, pour laditte victoire qu'ils avoient obtenue contre leurs ennemis. Or, aprés avoir faict bonne chère, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent de leurs cabannes, & se retirèrent à part dans une place publique, feirent arranger toutes leurs femmes & filles les unes prés des autres, & eux se meirent derrière, chantant tous d'une voix comme j'ay dict cy devant. Aussi tost toutes les femmes & filles commencèrent à quitter leurs robbes de peaux, & se meirent toutes nues, monstrans leur nature, neantmoins parées de matachias, qui sont patenoftres & cordons entrelacez, faicts de poil de porc-espic, qu'ils teignent de diverses couleurs. Après avoir achevé leurs chants, ils dirent tous d'une voix, ho, ho, ho; à mesme instant, toutes les femmes & filles se couvroient de leurs robbes, car elles sont à leurs pieds, & s'arrestent quelque peu, & puis aussi tost recommençans à chanter, ils laissent aller leurs robbes comme auparavant. Ils 12/76ne bougent d'un lieu en dansant, & font quelques gestes & mouvemens du corps, levans un pied, & puis l'autre, en frappant contre terre. Or, en faisant ceste danse, le Sagamo des Algoumequins, qui s'appelle Besouat23, estoit assis devant lesdittes femmes & filles, au millieu de deux bastons où estoient les testes de leurs ennemis pendues; quelques fois il se levoit, & s'en alloit haranguant & disant aux Montagnés & Estechemins: «Voyez comme nous nous resjouïssons de la victoire que nous avons obtenue sur nos ennemis: il faut que vous en fassiez autant, affin que nous soyons contens.» Puis tous ensemble disoient, ho, ho, ho. Retourné qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avecque tous ses compaignons despouillerent leurs robbes, estans tous nuds hormis leur nature, qui est couverte d'une petite peau, & prindrent chascun ce que bon leur sembla, comme matachias, haches, espées, chauldrons, graisses, chair d'orignac, loup-marin, bref chascun avoit un present, qu'ils allèrent donner aux Algoumequins. Aprés toutes ces cérémonies, la danse cessa, & lesdicts Algoumequins, hommes & femmes, emportèrent leurs presens dans leurs cabannes. Ils feirent encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos, qu'ils feirent courir, & celuy qui fut le plus viste à la course eut un present.

Note 23: (retour) Probablement le même que Tessouat, grand sagamo des Algonquins de l'Isle ou Kichesipirini. Quelques années plus tard, en 1613, ce chef accueille l'auteur comme une vieille connaissance; et cependant ils n'avaient pas dû se rencontrer depuis 1603; car on ne voit pas que Tessouat ait pris part aux expéditions contre les Iroquois, ni qu'il soit descendu à la traite en 1611. D'ailleurs, dans un manuscrit, tesouat peut très-bien se prendre pour besouat.

Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez 13/77joyeuse; ils rient le plus souvent; toutes fois ils sont quelque peu saturniens. Ils parlent fort pozément, comme se voullant bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost, en songeant une grande espace de temps, puis reprennent leur parolle. Ils usent bien souvent de ceste façon de faire parmy leurs harangues au conseil, où il n'y a que les plus principaux, qui sont les anciens, les femmes & enfants n'y assistent poinct.

Tous ces peuples patissent tant quelques fois, qu'ils sont presque constraints de se manger les uns les autres, pour les grandes froidures & neiges, car les animaux & gibier dequoy ils vivent se retirent aux pays plus chauts. Je tiens que qui leur monstreroit à vivre, & enseigneroit le labourage des terres & autres choses, ils l'apprendroient fort bien; car je vous asseure qu'il s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent assez bien à propos sur ce que l'on leur pourroit demander. Ils ont une meschanceté en eux, qui est user de vengeance, & estre grands menteurs, gens en qui il ne fait pas trop bon s'asseurer, sinon qu'avec raison & la force à la main; promettent assez, & tiennent peu.

Ce sont la plus part gens qui n'ont point de loy, selon que j'ay pu veoir & m'informer audict grand Sagamo, lequel me dict qu'ils croyoient véritablement qu'il y a un Dieu, qui a créé toutes choses. Et lors je luy dy: Puisqu'ils croyoient à un seul Dieu, comment est-ce qu'il les avoit mis au monde, & d'où ils estoient venus? Il me respondit: «Aprés que Dieu eut fait toutes choses, il print quantité de flesches, & les meit en terre; d'où il sortit 14/78hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusques à prêtent, & sont venus de ceste façon.» le luy respondy, que ce qu'il disoit estoit faux; mais que véritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit créé toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes ces choses si parfaictes, sans qu'il y eust personne qui gouvernast en ce bas monde, il print du limon de la terre, & en créa Adam nostre premier père. Comme Adam sommeilloit, Dieu print une coste dudict Adam, & en forma Eve, qu'il luy donna pour compagnie, & que c'estoit la vérité qu'eux & nous estions venus de ceste façon, & non de flesches comme ils croyent. Il ne me dict rien sinon, qu'il advoüoit plustost ce que je luy disois, que ce qu'il me disoit. Je luy demandis aussi, s'ils ne croyoient point qu'il y eust autre qu'un seul Dieu. Il me dict que leur croyance estoit, qu'il y avoit un Dieu, un Fils, une Mère & le Soleil, qu'estoient quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous, mais que le fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils recevoient; mais la mère ne valloit rien, & les mangeoit, & que le père n'estoit pas trop bon. Je luy remonstray son erreur selon nostre foy, enquoy il adjousta quelque peu de créance. Je luy demandis, s'ils n'avoient point veu ou ouy dire à leurs ancestres que Dieu fust venu au monde. Il me dict qu'il ne l'avoit point veu; mais qu'anciennement il y eut cinq hommes qui s'en allèrent vers le soleil couchant, qui rencontrèrent Dieu, qui leur demanda: «Ou allez-vous?» Ils dirent: «Nous allons chercher nostre vie.» Dieu leur respondit: «Vous la 15/79trouverez icy.» Ils passèrent plus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dict, lequel print une pierre, & en toucha deux, qui furent transmuez en pierre, & dict de rechef aux trois autres: «Où allez-vous?» Et ils respondirent comme à la première fois, & Dieu leur dit de rechef: «Ne passez plus outre: vous la trouverez icy.» Et voyant qu'il ne leur venoit rien, ils passerent outre, & Dieu print deux bastons, & il en toucha les deux premiers, qui furent transmuez en bastons, & le cinquiesme s'arresta, ne voullant passer plus outre. Et Dieu lui demanda de rechef: «Où vas-tu?»—«Je vais chercher ma vie.»—«Demeure, & tu la trouveras.» Il demeura sans passer plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea. Après avoir faict bonne chère, il retourna avecque les autres sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.

Il me dict aussy qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de tabac (qui est une herbe dequoy ils prennent la fumée), & que Dieu vint à cet homme, & luy demanda où estoit son petunoir; l'homme print son petunoir, & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup. Après avoir bien petuné, Dieu rompit ledict petunoir en plusieurs pièces, & l'homme luy demanda: «Pourquoy as-tu rompu mon petunoir? eh tu vois bien que je n'en ay point d'autre.» Et Dieu en print un qu'il avoit, & le luy donna, luy disant: «En voilà un que je te donne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque, ny tous ses 16/80compagnons.» Le dict homme print le petunoir, qu'il donna à son grand Sagamo; lequel tandis qu'il l'eut, les sauvages ne manquèrent de rien du monde; mais que du depuis le dict Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques fois parmy eux. Je luy demandis s'il croyoit tout cela; il me dict qu'ouy, & que c'estoit vérité. Or je croy que voilà pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy repliquay, & luy dis, Que Dieu estoit tout bon, & que sans doubte c'estoit le Diable qui s'estoit montré à ces hommes-là, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ils ne manqueroient de ce qu'ils auraient besoing; que le soleil qu'ils voyaient, la lune & les estoilles, avoient esté créez de ce grand Dieu, qui a faict le ciel & la terre, & n'ont nulle puissance que celle que Dieu leur a donnée; que nous croyons en ce grand Dieu, qui par sa bonté nous avoit envoyé son cher fils, lequel, conceu du Sainct Esprit, print chair humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant esté trente-trois ans en terre, faisant une infinité de miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades, chassant les Diables, illuminant les aveugles, enseignant aux hommes la volonté de Dieu son père, pour le servir, honorer & adorer, a espandu son sang, & souffert mort & passion pour nous & pour nos péchez, & rachepté le genre humain, estant ensevely est ressuscité, descendu aux enfers, & monté au ciel, où il est assis à la dextre de Dieu son pere24. Que c'estoit là la croyance de tous 17/81les chrestiens, qui croyent au Père, au Fils & au Saint Esprit, qui ne sont pourtant trois dieux, ains un mesme & un seul dieu, & une trinité en laquelle il n'y a point de plus tost ou d'après, rien de plus grand ne de plus petit; que la Vierge Marie, mère du fils de Dieu, & tous les hommes & femmes qui ont vescu en ce monde faisans les commandemens de Dieu, & enduré martyre pour son nom, & qui par la permission de Dieu ont faict des miracles & sont saincts au ciel en son paradis, prient tous pour nous ceste grande majesté divine de nous pardonner nos fautes & nos péchez que nous faisons contre sa loy & ses commandemens. Et ainsi, par les prières des saincts au ciel & par nos prières que nous faisons à sa divine majesté, ils nous donne ce que nous avons besoing, & le Diable n'a nulle puissance sur nous, & ne peut faire de mal; que s'ils avoient ceste croyance, qu'ils feroient comme nous, que le Diable ne leur pourroit plus faire de mal & ne manqueroient de ce qu'ils auroient besoing.

Note 24: (retour) Lescarbot fait sur ce passage la remarque suivante: «Je ne croy point que cette théologie se puisse expliquer à ces peuples, quand même on sçauroit parfaitement leur langue.» Il nous semble cependant que cette théologie n'a rien qui soit beaucoup plus difficile à entendre que la fable rapportée par le sagamo, puisque Champlain ne fait guère que lui raconter des faits historiques qui ont au moins en leur faveur le mérite de la vraisemblance. Supposé, au reste, que ce discours ne fût pas tout à fait à la portée de son interlocuteur, il n'en serait pas moins une preuve du zèle et des bonnes intentions de Champlain.

Alors ledict Sagamo me dict qu'il advouoit ce que je disois. Je luy demandis de quelle cérémonie ils usoient à prier leur Dieu. Il me dict, qu'ils n'usoient point autrement de cérémonies, sinon qu'un chascun prioit en son coeur comme il voulloit. Voilà pourquoy je croy qu'il n'y a aucune 18/82loy parmy eux, ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, & vivent la plus part comme bestes brutes, & croy que promptement ils seroient reduicts bons chrestiens, si l'on habitoit leur terre; ce qu'ils desireroient la plus part.

Ils ont parmy eux quelques sauvages, qu'ils appellent Pilotoua 25, qui parlent au Diable visiblement; & leur dict ce qu'il faut qu'ils fassent tant pour la guerre que pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque entreprise, ou tuer un François, ou un autre de leur nation, ils obeïroient aussi tost à son commandement.

Note 25: (retour) Quoique Champlain ait pu tenir des sauvages le mot pilotoua ou piletois, il paraît cependant qu'il leur est venu de la langue des Basques; c'est du moins ce que dit le P. Biard (Relat. de la Nouv. Fr., édit. 1858, p. 17), en parlant de l'aoutmoin, «que les Basques, dit-il, appellent Pilotois, c'est-à-dire, sorcier.»

Aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font sont véritables; & de faict il y en a beaucoup qui disent aveoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais, pour en parler avec vérité, ce sont visions du Diable, qui les trompe & seduict. Voilà toute la créance que j'ay pu apprendre d'eux, qui est bestiale.

Tous ces peuples, ce sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans aucune difformité; ils sont dispos, & les femmes bien formées, remplies & potelées, de couleur basanée, pour la quantité de certaine peinture dont ils se frottent, qui les faict devenir olivastres. Ils sont habillez de peaux; une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie descouverte. Mais l'hyver ils remédient à tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme 19/83d'orignac, loutre, castors, ours-marins, cerfs biches qu'ils ont en quantité. L'hyver, quand les neiges sont grandes, ils font une manière de raquette qui est grande deux ou trois fois comme celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans les neiges sans enfoncer, car autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de lieux.

Ils ont aussi une forme de mariage, qui est que quand une fille est en l'aage de quatorze ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs & amis, & aura compagnie avec tous ceux que bon luy semblera; puis au bout de quelques cinq ou six ans, elle prendra lequel il luy plaira pour son mary, & vivront ainsi ensemble jusques à la fin de leur vie, si ce n'est qu'après avoir esté quelque temps ensemble ils n'ont enfans, l'homme se pourra desmarier & prendre autre femme disant que la sienne ne vaut rien. Pour ainsi les filles sont plus libres que les femmes; or, despuis qu'elles sont mariées, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens au père ou parens de la fille qu'ils auront espousée. Voilà la cérémonie & façon qu'ils usent en leurs mariages.

Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou femme meurt, ils font une fosse, ou ils mettent tout le bien qu'ils auront, comme chaudrons, fourrures, haches, arcs & flesches, robbes & autres choses; & puis ils mettent le corps dedans la fosse, & le couvrent de terre, où ils mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & un bois debout qu'ils peignent de rouge par le haut. Ils 20/84croyent l'immortalité des âmes & disent qu'ils vont se resjouïr en d'autres pays avec leurs parents & amis, quand ils sont morts.





Riviere du Saguenay & son origine.

CHAPITRE IV.

Le 11e jour de juin, je fus à quelques douze ou quinze lieues dans le Saguenay, qui est une belle riviere, & a une profondeur incroyable: car je croy, selon que j'ay entendu deviser d'où elle procède, que c'est d'un lieu fort hault, d'où il descend un torrent d'eau 26 d'une grande impetuosité; mais l'eau qui en procède n'est point capable de faire un tel fleuve comme celuy-là, qui néantmoins ne tient que depuis cedict torrent d'eau, où est le premier fault, jusques au port de Tadousac, qui est l'entrée de la ditte riviere du Saguenay, où il y a quelques quarante-cinq ou cinquante lieues, & une bonne lieue & demye de large au plus, & un quart au plus estroict; qui faict qu'il y a grand courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu, ce ne sont que montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de sapins, cyprez & boulle, terre fort malplaisante, où je n'ay point trouvé une lieue de terre plaine tant d'un costé que d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & isles en laditte riviere, qui 21/85sont haultes eslevées. Enfin ce sont de vrais deserts inhabitables d'animaux & d'oiseaux; car je vous asseure qu'allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit sinon de petits oiseaux, qui sont comme rossignols & airondelles, lesquelles viennent en esté, car autrement je croy qu'il n'y en a point, à cause de l'excessif froid qu'il y faict, ceste riviere venant de devers le Norouest.

Note 26: (retour) On serait porté à croire d'abord qu'il est ici question de la décharge du lac Saint-Jean; mais le contexte indique assez que les sauvages lui ont décrit la route ordinaire des voyageurs, c'est-à-dire, la rivière Chicoutimi, les lacs Kinogomi, Kinogomichiche et la Belle-Rivière; et alors il est tout naturel que Champlain n'ait pas trouvé de proportion entre la Décharge et le Saguenay.

Ils me firent rapport qu'ayant passé le premier sault, d'où vient ce torrent d'eau, ils passent huict autres saults, & puis vont une journée sans en trouver aucun, puis passent autres dix saults, & viennent dedans un lac27, où ils sont deux jours à rapasser; en chasque jour ils peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieues. Audict bout du lac, il y a des peuples qui sont cabannez28, puis on entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre journées dans chascune; ou, au bout desdittes rivieres, il y a deux ou trois manières de lacs, d'où prend la source du Saguenay, de laquelle source jusques audict port de Tadousac il y a dix journées de leurs canots 29. Au bord desdittes rivieres, il y a quantité de cabannes, où 22/86il vient d'autres nations du costé du Nort, trocquer avec lesdicts Montagnés des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que donnent les vaisseaux françois aux dicts Montagnés. Lesdicts sauvages du Nort disent qu'ils voyent une mer qui est salée. Je tiens que si cela est, que c'est quelque goulfe de ceste mer qui desgorge par la partie du Nort dans les terres 30; & de vérité il ne peut estre autre chose. Voylà ce que j'ay apprins de la riviere du Saguenay.

Note 27: (retour) Le lac Saint-Jean, que les sauvages appelaient Piécouagami.
Note 28: (retour) La nation du Porc-Épic (ou des Kakouchaki) demeurait au lac Saint-Jean probablement dès ce temps-là.
Note 29: (retour)

«Voilà,» dit Lescarbot (liv. III, ch. IX) «ce qu'a écrit Champlain dés l'an six cens cinq» (lisez mil six cent trois) «de la rivière de Saguenay. Mais depuis il dit en sa dernière relation que du port de Tadoussac jusques à la mer que les Sauvages de Saguenay descouvrent au nort, il y a quarante à cinquante journées; ce qui est bien éloigné des dix que maintenant il a dit.»

Si Lescarbot avait examiné les choses plus attentivement, il aurait remarqué que Champlain ne dit pas qu'il y ait dix journées de Tadoussac à cette mer du nord qui est salée, c'est-à-dire, à la baie d'Hudson, mais bien seulement de Tadoussac à la source du Saguenay; ce qui est tout différent.

Note 30: (retour) La bonne foi avec laquelle Champlain consulte les sauvages pour en apprendre ce qu'il ne pouvait reconnaître de ses yeux, contraste singulièrement avec l'incrédulité de Lescarbot. Champlain, sur le simple récit des sauvages, avait assez bien compris la position de la baie d'Hudson, et Lescarbot, plusieurs années après la découverte faite, disait encore: «Toutesfois je ne voudrois aisément croire lesdits Anglois disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquantième degré: car il y a longtemps qu'elle seroit découverte, étant si voisine de Tadoussac, & en même élévation» (liv. III, ch. IX).




Partement de Tadousac pour aller au Sault, la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans, & de plusieurs autres isles & de nostre arrivée à Quebec.

CHAPITRE V.

Le mercredy, dix-huictiesme jour de juin, nous partismes de Tadousac, pour aller au Sault31. Nous passasmes prés d'une isle qui s'appelle l'Isle au Lievre32 qui peut estre à deux lieues de la terre de la bande du Nort, & à quelques sept lieues dudict Tadousac, & à cinq lieues 33 de la terre du Su.

Note 31: (retour) Le saut Saint-Louis.
Note 32: (retour) Cette île fut ainsi appelée par Jacques Cartier, parce que, à son retour en 1536, il y trouva quantité de lièvres. Elle porte encore le même nom aujourd'hui.
Note 33: (retour) Environ deux lieues et demie. La côte du sud, beaucoup moins élevée que celle du nord, paraît être à une bien plus grande distance qu'elle n'est réellement.

23/87De l'Isle au Lievre, nous rangeasmes la coste du Nort environ demye lieue 34, jusques à une poincte qui advance à la mer, où il faut prendre plus au large. Laditte poincte est à une lieue d'une isle qui s'appelle L'Isle au Coudre, qui peut tenir environ deux lieues de large, & de laditte isle à la terre du Nort, il y a une lieue. Laditte isle est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les deux bouts, au bout de l'Ouest, il y a des prairies 35 & poinctes de rochers qui advancent quelque peu dans la riviere. Laditte isle est quelque peu agréable pour les bois qui l'environnent. Il y a force ardoise, & la terre quelque peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui advance à la mer environ demye lieue. Nous passasmes au Nort de laditte isle, distante de l'Isle au Lievre de douze Lieues.

Note 34: (retour) Par ce qui suit, on voit qu'il faut lire ici dix ou douze lieues: car cette pointe, qui avance à la mer et qui est à une lieue, ou un peu plus, de l'île aux Coudres, ne peut être que le cap aux Oies.
Note 35: (retour) Cette partie de l'île s'appelle encore aujourd'hui les Prairies.

Le jeudy suyvant, nous en partismes, & vinsmes mouiller l'ancre à une anse dangereuse du costé du Nort, où il y a quelques prairies & une petite riviere36 où les sauvages cabannent quelques-fois. Cedict jour, rangeant tousjours laditte coste du Nort jusques à un lieu où nous relaschasmes pour les vents qui nous estoient contraires, où il y avoit force rochers & lieux fort dangereux, nous fusmes trois jours en attendant le beau temps. Toute ceste coste n'est que montaignes tant du costé du Su, que du costé du Nort, la pluspart ressemblant à celle du Saguenay.

Note 36: (retour) La Petite-Rivière a toujours gardé son nom depuis.

24/88Le dimanche, vingt-deuxiesme jour dudict mois, nous en partismes pour aller à l'isle d'Orléans 37, où il y a quantité d'isles à la bande du Su, lesquelles sont basses & couvertes d'arbres, semblans estre fort agréables, contenans (selon ce que j'ay pu juger) les unes deux lieues & une lieue, & autres demye; autour de ces isles ce ne sont que rochers & basses fort dangereux à passer, & sont esloignées quelques deux lieues de la grand'terre du Su. Et de là, vinsmes ranger à l'isle d'Orléans, du costé du Su. Elle est à une lieue de la terre du Nord, fort plaisante & unie, contenant de long huict lieues 38. Le costé de la terre du Su est terre basse, quelques deux lieues avant en terre; lesdittes terres commencent à estre basses à l'endroict de laditte isle, qui peut estre à deux lieues de la terre du Su. A passer du costé du Nort, il y faict fort dangereux pour les bancs de sables, rochers qui sont entre laditte isle & la grand'terre, & asseiche presque toute de basse mer.

Note 37: (retour) Cette île, suivant Thévet (Grand Insulaire), était appelée par les sauvages Minigo (peut-être Ouinigo, de l'Algonquin Ouindigo, ensorcelé). «J'avois oublié à vous dire, que une isle nommée des françoys Orléans & des sauvages Minigo, est l'endroit où la rivière est la plus estroicte...... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple de ce pays, pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs ennemis...... Les François,» ajoute-t-il plus loin, «la nommèrent Isle d'Orléans, en l'honneur d'un fils de France, qui lors vivoit, & se nommoit lors de Valois, Duc D'Orléans, fils de ce grand Roy Françoys de Valois, premier du nom.» Si ce nom d'Orléans remonte, comme l'affirme Thévet, à un fils de François I, ce ne peut être que Henri II, qui porta le titre de Duc d'Orléans jusqu'à la mort de son frère aîné François, c'est-à-dire, jusqu'à l'année 1536; car, cette année-là même, Jacques Cartier, en retournant de son second voyage, dit «vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans, environ douze lieues de Saincte Croix.» Il faut donc supposer ou bien que le nom de Bacchus, donné à cette île par Cartier lui-même l'automne précédent, aura été changé pendant l'hiver que les Français passèrent ici, ou bien que cette île avait déjà reçu son nom de quelque voyageur inconnu; ce qui n'est guère probable, puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le fleuve qu'en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un nom assez indifférent en lui-même, à celui d'un fils de France, du fils de son bienfaiteur.
Note 38: (retour) Sept lieues.

25/89Au bout de laditte isle, je vy un torrent d'eau 39, qui desbordoit de dessus une grande montaigne40 de laditte riviere de Canadas, & dessus laditte montaigne est terre unie & plaisante à veoir, bien que dedans lesdittes terres l'on voit de haultes montaignes, qui peuvent estre à quelques vingt ou vingt-cinq lieues dans les terres 41, qui sont proches du premier sault du Saguenay.

Note 39: (retour) L'auteur donna plus tard à ce torrent d'eau le nom de Montmorency, qu'il porte encore aujourd'hui. Dans la carte des environs de Québec qu'il publia en 1613, il l'appelle «le grand sault de Montmorency.» Dans l'édition de 1632, il ajoute: «Que j'ay nommé le sault de Montmorency.»
Note 40: (retour) C'est-à-dire, un côteau très-escarpé, haut d'environ 300 pieds.
Note 41: (retour) Ces montagnes, qui forment la chaîne des Laurentides, ne sont pas aussi éloignées; mais elles s'étendent en effet jusqu'au bassin du Saguenay.

Nous vinsmes mouiller l'ancre à Québec 42, qui est un destroict de laditte riviere de Canadas, qui a quelque trois cens pas de large 43. Il y a à ce destroict, du costé du Nort, une montaigne assez haulte, qui va en abaissant des deux costez; tout le reste 26/90est pays uny & beau, où il y a de bonnes terres pleines d'arbres, comme chesnes, cyprès, boulles, sapins & trembles, & autres arbres fruictiers sauvages, & vignes, qui faict qu'à mon opinion, si elles estoient cultivées, elles seroient bonnes comme les nostres. Il y a, le long de la coste dudict Québec, des diamants dans des rochers d'ardoyse, qui sont meilleurs que ceux d'Alençon. Dudict Québec jusques à l'isle au Coudre, il y a 29 lieues 44.

Note 42: (retour) C'est ici la première fois que l'on rencontre le nom de Québec, pour désigner ce que Jacques Cartier appelle tantôt Stadaconé, tantôt Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s'exclure, expriment, suivant la langue et le génie des sauvages, comme une nuance particulière du tableau pittoresque que présente le site de Québec. Stadaconé était bâti sur l'aile que forme la pointe du cap aux Diamants; or, suivant Mgr Laflèche, stadaconé, dans le dialecte cris ou algonquin, veut dire aile, quoique d'autres linguistes prétendent reconnaître dans ce mot une origine huronne (voir Hist. de la Colonie française en Canada, I, 532, note 1). Le mot Canada, dont Cartier nous donne lui-même la signification («ils appellent une ville canada»), semble avoir désigné l'importance relative que devait avoir Stadaconé par l'avantage même de sa position. Enfin, il est naturel de supposer que les sauvages, après la disparition ou le déplacement de Stadaconé, n'aient pas trouvé, pour désigner le même lieu, d'expression plus juste que celle de Kébec ou Québec, qui veut dire, comme le remarque ici Champlain, détroit, rétrécissement, et même quelque chose de plus expressif, c'est bouché. Ce passage resserré entre deux côtes escarpées, est peut-être ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte le Saint-Laurent, jusque là si large et si majestueux. Or les sauvages du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore actuellement du même mot Kebec, pour signifier un lieu ou l'eau se rétrécit ou se referme. Inutile de réfuter ici les opinions plus ou moins ingénieuses, qui Veulent trouver l'origine du nom de Québec dans l'exclamation d'un matelot normand, quel bec! c'est-à-dire, quel cap! ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de toutes ces suppositions, il y a toujours les témoignages imposants de Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir le Cours d'Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)
Note 43: (retour) Le fleuve, devant Québec, a un quart de lieue de large.
Note 44: (retour) Ce chiffre est de beaucoup trop fort; la copie originale portait probablement 19. Il y a environ 18 lieues.




De la poincte Sainte Croix, de la riviere de Batiscan; des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Quebec, jusques aux Trois Rivieres.

CHAPITRE VI.

Le lundy, 23. dudict mois, nous partismes de Québec, ou la riviere commence à s'élargir quelques-fois d'une lieue, puis de lieue & demye ou deux lieues au plus. Le pays va de plus en plus en embellissant; ce sont toutes terres basses, sans rochers, que fort peu. Le costé du Nort est remply de rochers & bancs de sable, il faut prendre celuy du Su comme d'une demy lieue de terre. Il y a quelques petites rivieres qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots des sauvages, auxquelles il y a quantité de saults. Nous vinsmes mouiller l'ancre jusques à Saincte Croix 45, 27/91distante de Québec de quinze lieues; c'est une poincte basse, qui va en haulsant des deux costez. Le pays est beau & uny, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu, avec quantité de bois, mais fort peu de sapins & cyprès. Il s'y trouve en quantité des vignes, poires, noysettes, cerises, groiselles rouges & vertes, & de certaines petites racines de la grosseur d'une petite noix ressemblant au goust comme truffes, qui sont très-bonnes rôties & bouillies. Toute ceste terre est noire, sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantité d'ardoise; elle est fort tendre, & si elle estoit bien cultivée, elle seroit de bon rapport.

Note 45: (retour) Champlain nous fait connaître lui-même (édit. 1613, liv, II, ch. IV) l'origine de ce nom de Sainte-Croix. «Dés la première fois,» dit-il, «qu'on me dit qu'il (Cartier) avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort.... Ce que l'on appelle aujourd'huy Saincte Croix s'appeloit lors Achelacy, destroit de la riviere fort courant & dangereux... Or en toute ceste riviere, n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle Saincte Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre...» D'où l'on voit 1° que les navigateurs qui ont précédé Champlain croyaient que c'était en ce lieu qu'avait hiverné Cartier de 1535 à 1536; 2° que c'est ce qui Leur a fait donner à ce même lieu le nom de Sainte-Croix. La cause probable de cette erreur est la ressemblance qu'on a cru voir entre le rapide du Richelieu, et ce «destroict dudict fleuve fort courant & parfond» dont parle Cartier, et qu'il faut entendre de Québec.

Du costé du Nort, il y a une riviere qui s'appelle Batiscan, qui va fort avant en terre, par où quelques-fois les Algoumequins viennent; & une autre 46 du mesme costé, à trois lieues dudict Saincte Croix sur le chemin de Québec, qui est celle où fut Jacques Cartier au commencement de la descouverture qu'il en feit, & ne passa point plus outre 47. Laditte riviere est plaisante, & va assez avant dans les terres. Tout ce costé du Nort est fort uny & aggreable.

Note 46: (retour) La rivière Jacques-Cartier, qui en effet se jette dans le fleuve à trois lieues environ de ce qu'on appelait alors la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon.
Note 47: (retour) L'auteur, qui probablement n'avait point encore vu les relations de Cartier, parle ici d'après les traditions ou les idées de ceux qui le pilotaient, et vraisemblablement de Pont-Gravé en particulier; car la Chronologie Septénaire, qui semble prendre les intérêts de celui-ci, enchérit encore sur ce passage, et ajoute: «ny autre après luy qu'en ce voyage.» Mais Champlain était trop bon observateur pour ne pas concevoir quelques doutes sur la vérité de ces faits, «ne voyant, comme il dit, apparence de riviere pour mettre vaisseaux» (édit. 1613, liv. II, ch. IV). Aussi prouve-t-il, au même endroit, que Cartier n'a pu hiverner ailleurs que dans la rivière Saint-Charles. Au reste il n'a pas pu s'imaginer qu'il était le premier à remonter le fleuve au-dessus de Sainte-Croix, comme l'insinue Lescarbot, puisqu'il était avec Pont-Gravé, qui connaissait les Trois-Rivières depuis au moins cinq ou six ans.

28/92Le mercredy, 24e jour48 dudict mois, nous partismes dudict Saincte Croix, où nous retardasmes une marée & demye, pour le lendemain pouvoir passer de jour, à cause de la grande quantité de rochers qui sont au travers de laditte riviere, (chose estrange à veoir) qui asseiche presque toute de basse mer. Mais à demy flot, l'on peut commencer à passer librement; toutesfois il faut y prendre bien garde, avec la sonde à la main. La mer y croist prés de trois brasses & demye.

Note 48: (retour) Le 24 était un mardi, et le contexte fait voir suffisamment qu'on était au mardi.

Plus nous allions en avant, & plus le pays est beau. Nous fusmes à quelques cinq lieues & demye mouiller l'ancre à la bande du Nort. Le mercredy ensuyvant, nous partismes de cedict lieu, qui est pays plus plat que celuy de devant, plein de grande quantité d'arbres, comme à Saincte Croix. Nous passasmes prés d'une petite isle, qui estoit remplye de vignes, & vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Su, prés d'un petit costeau; mais, estant dessus, ce sont terres unies. Il y a une autre petite isle 49, à trois lieues de Saincte Croix, proche de la terre du Su. Nous partismes le jeudi ensuyvant dudict costeau, & passasmes prés d'une petite isle, 29/93qui est proche de la bande du Nort, où je fus, à quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui peuvent porter bateau assez avant, & une autre50 qui a quelques trois cens pas de large, à son entrée il y a quelques isles; elle va fort avant dans la terre, est la plus creuse de toutes les autres; lesquelles sont fort plaisantes à veoir, les terres estans pleines d'arbres qui ressemblent à des noyers, & en ont la mesme odeur, mais je n'y ay point veu de fruict, ce qui me met en doubte. Les sauvages m'ont dict qu'il porte son fruict comme les nostres.

Note 49: (retour) Cette île ne peut être que celle à laquelle il donna plus tard le nom de Richelieu, et que l'on a appelée simplement île de Sainte-Croix jusqu'en 1633. «Ce mesme jour» (3 juin 1633), dit le Mercure français, t. XIX, p. 822, «le sieur de Champlain partit pour aller à Saincte Croix faire porter des commoditez, pour édifier une cabanne à faire la traitte, y arriva le jour ensuyvant, & le dimanche 5 de juin alla recognoistre l'isle dés le soir... Le lundy 6, ledit sieur envoya des hommes à terre pour commencer à faire la cabanne pour la traitte.» Et un peu plus loin: «Les ouvriers qui sont icy sont employez aux habitations & fortifications qu'il faut faire à l'isle de Richelieu & Trois Rivieres.» Suivant le P. Le Jeune (Rel. 1635, p. 13, édit. 1858), les sauvages appelaient cette île, Ka ouapassiniskakhi.
Note 50: (retour) La rivière de Sainte-Anne, dont il dit, dans son édit. de 1613, liv. II, ch. VII, «& l'avons nommée la riviere Saincte-Marie.»

Passant plus outre, nous rencontrasmes une isle qui s'appelle Sainct Eloy51, & une autre petite isle, laquelle est tout proche de la terre du Nort. Nous passasmes entre laditte isle & laditte terre du Nort, où il y a de l'un à l'autre quelques cent cinquante pas. De laditte isle jusques à la bande du Su une lieue & demye, passasmes proche d'une riviere où peuvent aller les canots. Toute ceste coste du Nort est assez bonne; l'on y peut aller librement, néantmoins la sonde à la main, pour esviter certaines poinctes. Toute ceste coste que nous rangeasmes est sable mouvant; mais, entrant quelque peu dans les bois, la terre est bonne.

Note 51: (retour) La Chronologie Septénaire, dit: «qu'ils appellerent Sainct-Eloy.» Cette île, située en face de l'église actuelle de Batiscan, n'est plus guère connue sous ce nom; mais le petit chenal qui la sépare de la terre ferme porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Éloi.

Le vendredy ensuyvant, nous partismes de ceste 30/94isle, costoyant tousjours la bande du Nort tout proche terre, qui est basse & pleine de tous bons arbres, & en quantité, jusques aux Trois Rivieres, où il commence d'y avoir température de temps quelque peu dissemblable à celuy de Saincte Croix, d'autant que les arbres y sont plus advancez qu'en aucun lieu que j'eusse encores veu. Des Trois Rivieres jusques à Saincte Croix il y a quinze lieues. En cette riviere52, il y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelques cinq à six cens pas de long, fort plaisantes, & fertilles pour le peu qu'elles contiennent. Il y en a une au milieu de laditte riviere qui regarde le passage de celle de Canadas, & commande aux autres esloignées de la terre, tant d'un costé que d'autre de quatre à cinq cens pas. Elle est eslevée du costé du Su, & va quelque peu en baissant du costé du Nort. Ce seroit à mon jugement un lieu propre à habiter, & pourroit-on le fortifier promptement, car sa scituation est forte de soy, & proche d'un grand lac 53 qui n'en est qu'à quelques quatre lieues; lequel joinct presque la riviere de Saguenay54, selon le rapport des sauvages, qui vont prés de cent lieues au Nort, 31/95& passent nombre de saults, puis vont par terre quelques cinq ou six lieues, & entrent dedans un lac55, d'où ledict Saguenay prend la meilleure part de sa source, & lesdicts sauvages viennent dudict lac à Tadousac. Aussi que l'habitation des Trois Rivieres seroit un bien pour la liberté de quelques nations, qui n'osent venir par là, à cause desdicts Irocois leurs ennemis, qui tiennent, toute laditte riviere de Canadas bordée, mais, estant habitée, on pourroit rendre lesdicts Irocois & autres sauvages amis, ou à tout le moins, sous la faveur de laditte habitation, lesdicts sauvages viendroient librement sans crainte & danger, d'autant que ledict lieu des Trois Rivieres est un passage. Toute la terre que je vis à la terre du Nort est sablonneuse. Nous entrasmes environ une lieue dans laditte riviere, & ne pusmes passer plus outre à cause du grand courant d'eau. Avec un esquif, nous fusmes pour veoir plus avant, mais nous ne feismes pas plus d'une lieue, que nous rencontrasmes un sault d'eau fort estroict, comme de douze pas, ce qui fut occasion que nous ne peusmes passer plus outre. Toute la terre que je veis aux bords de laditte riviere, va en haussant de plus en plus, qui est remplie de quantité de sapins & cyprez, & fort peu d'autres arbres.

Note 52: (retour) Le Saint-Maurice, auquel les auteurs ont le plus souvent donné le nom de Trois-Rivières, parce que les deux îles principales qui se trouvent à son embouchure le séparent en trois branches, appelées les Chenaux. «Nous nommasmes icelle riviere,» dit Jacques Cartier, «riviere de Fouez,» et Lescarbot ajoute entre parenthèses: (Je croy qu'il veut dire Foix» (Lesc., liv. III, ch. XVIII). Comme poste de traite, les Trois-Rivières étaient déjà connues, sous ce nom, depuis au moins 1598: car, en 1599, lorsque M. Chauvin voulut s'établir à Tadoussac, Pont-Gravé «remonstra audit sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux Trois Rivieres pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux» (édit. 1632, liv. I, ch. VI). Le nom sauvage des Trois-Rivières était Metaberoutin.
Note 53: (retour) Le lac Saint-Pierre.
Note 54: (retour) Le Saint-Maurice a sa source sur les mêmes hauteurs que plusieurs des rivières qui se déchargent dans le lac Saint-Jean, considéré comme la source du Saguenay.
Note 55: (retour) Le lac Saint-Jean.




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Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on void dans le pays, de la riviere des Irocois, & de la forteresse des sauvages qui leur font la guerre.

CHAPITRE VII.

Le samedy ensuyvant, nous partismes des Trois Rivieres, & vinsmes mouiller l'ancre à un lac, où il y a quatre lieues. Tout ce pays depuis les Trois Rivieres jusques à l'entrée dudict lac, est terre à fleur d'eau, & du costé du Su quelque peu plus haulte. Laditte terre est très bonne, & la plus plaisante que nous eussions encores veuë. Les bois y sont assez clairs, qui faict que l'on pourroit y traverser aisément.

Le lendemain, 29 de juin56, nous entrasmes dans le lac, qui a quelques quinze lieues de long 57, & quelques sept ou huict lieues de large. A son entrée du costé du Su environ une lieue, il y a une riviere 58 qui est assez grande, & va dans les terres quelques soixante ou quatre-vingts lieues, & continuant du mesme costé, il y a une autre petite riviere qui entre environ deux lieues en terre, & fort de dedans un autre petit lac 59 qui peut contenir quelques trois ou quatre lieues. Du costé du 33/97Nort, où la terre y paroist fort haulte, on void jusques à quelques vingt lieues; mais peu à peu les montaignes viennent en diminuant vers l'Ouest comme païs plat. Les sauvages disent que la pluspart de ces montaignes sont mauvaises terres. Ledict lac a quelques trois brasses d'eau par où nous passasmes, qui fut presque au millieu. La longueur gist d'Est & Ouest, & de la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les especes que nous avons par deçà. Nous le traversasmes ce mesme jour, & vinsmes mouiller l'ancre environ deux lieues dans la riviere qui va au hault, à l'entrée de laquelle il y a trente petites isles60. Selon ce que j'ay pu veoir, les unes sont de deux lieues, d'autres de lieue & demye, & quelques unes moindres, lesquelles sont remplies de quantité de noyers, qui ne sont gueres differens des nostres, & croy que les noix en sont bonnes à leur saison; j'en veis en quantité sous les arbres, qui estoient de deux façons, les unes petites, & les autres longues comme d'un pouce; mais elles estoient pourries. Il y a aussi quantité de vignes sur le bord desdittes isles; mais quand les eaux sont grandes, la pluspart d'icelles sont couvertes d'eau. Et ce païs est encores meilleur qu'aucun autre que j'eusse veu.

Note 56: (retour) Le jour de la Saint-Pierre. C'est pour cette raison sans doute que ce lac a été appelé lac Saint-Pierre. Il avait porté précédemment le nom d'Angoulême (Thévet, Cosmographie Universelle, t. II).
Note 57: (retour) Dans sa plus grande longueur il n'a que neuf ou dix lieues.
Note 58: (retour) Probablement la rivière de Nicolet; mais elle ne va pas si loin dans les terres.
Note 59: (retour) Il semble ici que l'auteur parle de ce que nous appelons aujourd'hui baie de La Valière.
Note 60: (retour) Les îles de Sorel, que l'on a appelées aussi îles de Richelieu.

Le dernier de juin, nous en partismes, & vinsmes passer à l'entrée de la riviere des Iroquois, où estoient cabannez & fortifiez les sauvages qui leur alloient faire la guerre. Leur forteresse est faicte de quantité de bastons fort pressez les uns contre les autres, 34/98laquelle vient joindre d'un costé sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrangez les uns contre les autres sur le bord pour pouvoir promptement fuyr, si d'adventure ils sont surprins des Iroquois: car leur forteresse est couverte d'escorces de chesnes, & ne leur sert que pour avoir le temps de s'embarquer.

Nous fusmes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou six lieues 61, & ne peusmes passer plus outre avec nostre barque, à cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi que l'on ne peut aller par terre, & tirer la barque, pour la quantité d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir advancer davantage, nous prinsmes nostre esquif, pour veoir si le courant estoit plus adoucy; mais, allant à quelques deux lieues, il estoit encores plus fort, & ne peusmes advancer plus avant. Ne pouvant faire autre chose, nous nous en retournasmes en notre barque. Toute cette riviere est large de quelques trois à quatre cens pas, fort saine. Nous y veismes cinq isles, distantes les unes des autres d'un quart ou demye lieue ou d'une lieue au plus, une desquelles contient une lieue, qui est la plus proche, & les autres sont fort petites.

Note 61: (retour) Champlain aurait donc, dès cette année 1603, remonté la rivière de Chambly jusqu'au-delà de l'endroit où l'on a construit la dame de Saint-Ours, laquelle a fait disparaître les rapides que Champlain trouva plus haut.

Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses comme celles que j'avois veuës auparavant; mais il y a plus de sapins & de cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne, bien qu'elle soit quelque peu sablonneuse. Ceste riviere va comme au Sorouest62.

Note 62: (retour) Il faudrait: comme au Sud.

35/99Les sauvages disent qu'à quelques quinze lieues d'où nous avions esté, il y a un sault 63 qui vient de fort hault, où ils portent leurs canots pour le passer environ un quart de lieue, & entrent dedans un lac 64, où à l'entrée il y a trois isles, & estans dedans, ils en rencontrent encores quelques unes. Il peut contenir quelques quarante ou cinquante lieues de long, & de large quelques vingt-cinq lieues, dans lequel descendent quantité de rivieres, jusques au nombre de dix, lesquelles portent canots assez avant. Puis, venant à la fin dudict lac, il y a un autre sault, & rentrent dedans un autre lac 65, qui est de la grandeur dudict premier 66, au bout duquel sont cabannez les Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere67 qui va rendre à la coste de la Floride, d'où il y peut aveoir dudict dernier lac quelques cent ou cent quarante lieues. Tout le pays des Iroquois est quelque peu montagneux, neantmoins païs très bon, tempéré, sans beaucoup d'hyver, que fort peu.

Note 63: (retour) Le rapide de Chambly.
Note 64: (retour) Champlain découvrit lui-même ce lac six ans plus tard, et lui donna son nom.
Note 65: (retour) Les Iroquois l'appelaient Andiatarocté (là où le lac se ferme). Le P. Jogues le nomma Saint-Sacrement en 1646; il est connu aujourd'hui sous le nom de lac George.
Note 66: (retour) Les Sauvages qui donnaient à Champlain ces renseignements s'étaient exagéré la grandeur de ce lac; car le lac Champlain a quarante lieues de long, et le lac George n'en a que onze.
Note 67: (retour) L'Hudson, qui a à peu près cent vingt lieues de long. C'était en effet la meilleure route à suivre pour aller à la côte de la Floride, qui alors était regardée comme voisine du Canada.




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Arrivée au Sault, sa description, & ce qu'on y void de remarquable, avec le rapport des sauvages de la fin de la grande riviere.

CHAPITRE VIII.

Partant de la riviere des Iroquois, nous fusmes mouiller l'ancre à trois lieues de là, à la bande du Nort. Tout ce pays est une terre basse, remplie de toutes les sortes d'arbres que j'ay dict cy-dessus.

Le premier jour de juillet, nous costoyasmes la bande du Nort, où le bois y est fort clair, plus qu'en aucun lieu que nous eussions encore veu auparavant, & toute bonne terre pour cultiver. Je me meis dans un canot à la bande du Su, où je veis quantité d'isles, lesquelles sont fort fertilles en fruicts, comme vignes, noix, noysettes, & une manière de fruict qui semble à des chastaignes, cerises, chesnes, trembles, pible 68, houblon, fresne, érable, hestre, cyprez, fort peu de pins & sapins. Il y a aussi d'autres arbres que je ne cognois point, lesquels sont fort aggreables. Il s'y trouve quantité de fraises, framboises, groizelles rouges, vertes & bleues, avec force petits fruicts qui y croissent parmy grande quantité d'herbages. Il y a aussi plusieurs bestes sauvages comme orignas, cerfs, biches, dains, ours, porcs-espics, lapins, regnards, castors, loutres, rats musquets, & quelques autres fortes d'animaux que je ne cognois point, lesquels sont bons à manger, & dequoy vivent les sauvages.

Note 68: (retour) Ce mot n'est, sans doute, qu'une contraction de piboule, qui désigne une variété du peuplier.

37/101Nous passasmes contre une isle qui est fort aggreable, & contient quelques quatre lieues de long, & environ demye de large 69. Je veis à la bande du Su deux hautes montaignes, qui paroissoient comme à quelques vingt lieues dans les terres, les sauvages me dirent que c'estoit le premier sault de laditte riviere des Iroquois.

Note 69: (retour) L'auteur semble avoir pris ici pour une seule île les îles de Verchères.

Le mercredy ensuyvant, nous partismes de ce lieu, & feismes quelques cinq ou six lieues. Nous veismes quantité d'isles, la terre y est fort basse, & sont couvertes de bois ainsi que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuyvant, nous feismes quelques lieues, & passasmes aussi par quantité d'autres isles qui sont très bonnes & plaisantes, pour la quantité des prairies qu'il y a, tant du costé de terre ferme que des autres isles; & tous les bois y sont fort petits, au regard de ceux que nous avions passé.

Enfin nous arrivasmes cedict jour à l'entrée du sault, avec vent en poupe, & rencontrasmes une isle 70 qui est presque au milieu de laditte entrée, laquelle contient un quart de lieue de long, & passasmes à la bande du Su de laditte isle, où il n'y avoit que de trois à quatre ou cinq pieds d'eau, & aucunes fois une brasse ou deux; & puis tout à un coup n'en trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers & petites isles où il n'y a point de bois, & sont à fleur d'eau. Du commencement de la susditte isle, qui est au milieu de laditte entrée, l'eau commence à venir de grande force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne peusmes-nous, en toute nostre 38/102puissance, beaucoup advancer; toutesfois nous passasmes laditte isle qui est à l'entrée dudict sault. Voyant que nous ne pouvions avancer, nous vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Nort, contre une petite isle71 qui est fertille en la pluspart des fruicts que j'ay dict cy-dessus. Nous appareillasmes aussi tost nostre esquif, que l'on avoit fait faire exprés pour passer ledict sault, dans lequel nous entrasmes ledict Sieur du Pont & moy, avec quelques autres sauvages que nous avions menez pour nous montrer le chemin. Partant de nostre barque, nous ne fusmes pas à trois cens pas, qu'il nous fallut descendre, & quelques matelots se mettre à l'eau pour passer nostre esquif. Le canot des sauvages passoit aysément. Nous rencontrasmes une infinité de petits rochers, qui estoient à fleur d'eau, où nous touschions souventes fois.

Note 70: (retour) L'île qu'il appela lui-même plus tard Sainte-Hélène, du nom d'Hélène Boullé, sa femme.
Note 71: (retour) Cette petite île, située dans le port de Montréal, est maintenant réunie à la terre ferme par des quais.

Il y a deux grandes isles: une du costé du Nort 72, laquelle contient quelques quinze lieues de long, & presque autant de large, commence à quelque douze lieues dans la riviere de Canada, allant vers la riviere des Iroquois, & vient tomber par delà le Sault, l'isle qui est à la bande du Su a quelques quatre lieues de long, & demye de large 73. Il y a encore une autre isle74 qui est proche de celle du Nort, laquelle peut tenir quelque demye lieue de long, & un quart de large, & une autre petite isle, qui 39/103 est entre celle du Nort, & l'autre plus proche du Su, par où nous passasmes l'entrée du Sault75). Estant passé, il y a une manière de lac, où sont toutes ces isles, lequel peut contenir quelques cinq lieues de long, & presque autant de large, où il y a quantité de petites isles, qui sont rochers. Il y a, proche dudict Sault, une montagne 76 qui descouvre assez loing dans lesdittes terres, & une petite riviere 77 qui vient de laditte montaigne tomber dans le lac. L'on void du costé du Su, quelques trois ou quatre montaignes, qui paroissent comme à quinze ou seize lieues dans les terres. Il y a aussi deux rivieres: l'une 78 qui va au premier lac de la riviere des Iroquois, par où quelquefois les Algoumequins leur vont faire la guerre; & l'autre 79 qui est proche du Sault, qui va quelques pas dans les terres.

Note 72: (retour) Il paraît bien évident que Champlain veut ici parler de l'île de Montréal, qui cependant n'a que dix lieues de long, et environ trois lieues de large.
Note 73: (retour) L'île Perrot, qui n'a pas tout à fait les dimensions que lui donne l'auteur, est située rigoureusement au sud de l'île de Montréal.
Note 74: (retour) L'île Saint-Paul.
Note 75: (retour) C'est-à-dire, «qui est entre l'île de Montréal et l'île Sainte-Hélène par où nous passâmes l'entrée du saut.» Cette petite île est l'île Ronde.
Note 76: (retour) La Montagne que Jacques Cartier appela Mont-Royal (Montréal).
Note 77: (retour) La petite rivière de Saint-Pierre.
Note 78: (retour) La rivière de Saint-Lambert. De cette rivière, on tombe dans celle de Montréal, qui se jette dans le bassin de Chambly; c'est ce bassin que l'auteur appelle «premier lac de la rivière des Iroquois.»
Note 79: (retour) La rivière de la Tortue.

Venans à approcher dudict Sault avecq nostre petit esquif & le canot, je vous asseure que jamais je ne veis un torrent d'eau desborder avec une telle impetuosité comme il faict, bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'estant en d'aucuns lieux que d'une brasse ou de deux, & au plus de trois. Il descend comme de degré en degré, & en chasque lieu où il y a quelque peu de hauteur, il s'y fait un esbouillonnement estrange de la force & roideur que va l'eau en traversant ledict Sault, qui peut contenir 40/104une lieue. Il y a force rochers de large, & environ le millieu, il y a des isles qui sont fort estroittes & fort longues, où il y a sault tant du costé desdittes isles qui sont au Su, comme du costé du Nort, où il fait si dangereux, qu'il est hors de la puissance d'homme d'y passer un bateau, pour petit qu'il soit. Nous fusmes par terre dans les bois, pour en veoir la fin, où il y a une lieue, & où l'on ne voit plus de rochers, ny de saults; mais l'eau y va si viste, qu'il est impossible de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre lieues; de façon que c'est en vain de s'imaginer que l'on peust faire passer aucuns bateaux par lesdicts saults. Mais qui les voudroit passer, il se faudroit accommoder des canots des sauvages, qu'un homme peut porter aisément: car de porter bateau, c'est chose laquelle ne se peut faire en si bref temps comme il le faudroit pour pouvoir s'en retourner en France, si l'on y hyvernoit. Et en outre ce sault premier, il y en a dix autres, la plus part difficiles à passer; de façon que ce seroit de grandes peines & travaux pour pouvoir voir & faire ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce n'estoit à grand frais & despens, & encore en danger de travailler en vain. Mais avec les canots des sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes. Si bien qu'en se gouvernant par le moyen desdicts sauvages & de leurs canots, l'on pourra veoir tout ce qui se peut, bon & mauvais, dans un an ou deux.

Tout ce peu de païs du costé dudict sault que nous traversasmes par terre, est bois fort clair, où l'on peut aller aysément avecque armes, sans beaucoup de 41/105peines, l'air y est plus doux & tempéré; & de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse veu, où il y a quantité de bois & fruicts, comme en tous les autres lieux cy dessus, & est par les 45. degrez & quelques minutes.

Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en retournasmes en nostre barque, où nous interrogeasmes les sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que je leur feis figurer de leurs mains, & de quelle partie procedoit sa source. Ils nous dirent que passé le premier sault que nous avions veu, ils faisoient quelques dix ou quinze lieues 80 avec leurs canots dedans la riviere, où il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins 81, qui sont à quelques soixante lieues esloignez de la grand'riviere, & puis ils venoient à passer cinq saults82, lesquels peuvent contenir du premier au dernier huict lieues 83, desquels il y en a deux où ils portent leurs canots pour les passer. Chasque sault peut tenir quelque demy quart de lieue, ou un quart au plus, & puis ils viennent dedans un lac 84, qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de long. Delà ils rentrent dedans une riviere 85 qui peut contenir une lieue de large, & font quelques lieues dedans; & puis rentrent dans un autre lac 86 de quelques quatre ou cinq lieues de long, venant au bout 42/106duquel, ils passent cinq autres saults, distans du au dernier quelque vingt-cinq ou trente lieues 87, dont il y en a trois où ils portent leurs canots pour les passer, & les autres deux, il ne les font que traisner dedans l'eau, d'autant que le cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous ces saults, aucun n'est si difficile à passer, comme celuy que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans un lac 88 qui peut tenir quelques 80 lieues de long, où il y a quantité d'isles; & que au bout d'iceluy l'eau y est salubre & l'hyver doux. A la fin dudit lac, ils passent un sault89 qui est quelque peu élevé, où il y a peu d'eau, laquelle descend. Là, ils portent leurs canots par terre environ un quart de lieue pour passer ce sault; de là entrent dans un autre lac 90 qui peut tenir quelques soixante lieues de long, & que l'eau en est fort salubre. Estant à la fin ils viennent à un destroict91 qui contient deux lieues de large, & va assez avant dans les terres. Qu'ils n'avoient point passé plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac 92 qui est à quelques quinze ou seize lieues d'où ils sont esté, ny que ceux qui leur avoient dict eussent veu homme qui le l'eust veu; d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne se bazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque tourmente ou coup de vent ne les surprinst. Disent qu'en esté le soleil se 43/107couche au nord dudict lac, & en l'hyver il se couche comme au milieu, que l'eau y est très mauvaise, comme celle de ceste mer.

Note 80: (retour) Cinq ou six lieues, c'est-à-dire, la longueur du lac Saint-Louis.
Note 81: (retour) C'est pour cette raison même qu'elle a été longtemps appelée la rivière des Algonquins; plus tard, pour une raison analogue, on lui a donné le nom d'Outaouais.
Note 82: (retour) Ce sont les Cascades, les Cèdres, et les rapides du Côteau-du-Lac, qui se subdivisent en deux ou trois, suivant le chemin que l'on prend.
Note 83: (retour) Du pied des Cascades au Côteau-du-Lac, il y a cinq ou six lieues.
Note 84: (retour) Le lac Saint-François, qui a environ douze lieues de long.
Note 85: (retour) Le Long-Saut.
Note 86: (retour) C'est-à-dire, un espace où le fleuve est tranquille et sans rapide.
Note 87: (retour) Depuis le rapide aux Citrons, ou les rapides Plats, jusqu'aux Gallots, il y a en effet cinq rapides; mais cette distance de vingt-cinq à trente lieues doit s'entendre de tout le trajet jusqu'au lac Ontario.
Note 88: (retour) Le lac des Entouhoronons, ou Ontario.
Note 89: (retour) La chute de Niagara.
Note 90: (retour) Le lac Erié, ou des Eriehoronons (nation du Chat).
Note 91: (retour) La rivière du Détroit, qui est une partie du Saint-Laurent.
Note 92: (retour) Le lac Huron, ou mer Douce.

Je leur demandis si depuis cedict lac dernier qu'ils avoient veu, si l'eau descendoit tousjours dans la riviere venant à Gaschepay: ils me dirent que non; que depuis le troisiesme lac elle descendoit seulement, venant audict Gaschepay; mais que depuis le dernier fault, qui est quelque peu hault, comme j'ay dict, que l'eau estoit presque pacifique, & que ledict lac pouvoit prendre cours par autres rivieres, lesquelles vont dedans les terres, soit au Su, ou au Nort, dont il y en a quantité qui y refluent, & dont ils ne voyent point la fin. Or, à mon jugement, il faudroit que si tant de rivieres desbordent dedans ce lac, n'ayant que si peu de cours audict sault, qu'il faut par necessité qu'il refflue dedans quelque grandissime riviere. Mais ce qui me faict croire qu'il n'y a point de riviere par où cedict lac refflue, veu le nombre de toutes les autres rivieres qui reffluënt dedans, c'est que les sauvages n'ont vu aucune riviere qui prinst son cours par dedans les terres, qu'au lieu où ils ont esté: ce qui me faict croire que c'est la mer du Su, estant sallée93, comme ils disent. Toutesfois il n'y faut pas tant adjouster de foy, que ce soit avec raisons apparentes, bien qu'il y en aye quelque peu.

Note 93: (retour) Eau mauvaise ou salée était la même chose pour les sauvages.

Voylà au certain tout ce que j'ay veu cy-dessus, & ouy dire aux sauvages sur ce que nous les avons interrogez.





44/108

Retour du Sault à Tadoussac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & le commencement de la grande riviere de Canadas, du nombre des saults & lacs qu'elle traverse.

CHAPITRE IX.

Nous partismes dudict sault, le Vendredy, quatriesme jour de Juin 94, & revinsmes cedict jour à la riviere des Irocois. Le Dimanche, sixiesme jour de juin, nous en partismes & vinsmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundy ensuyvant, nous fusmes mouiller l'ancre au Trois Rivieres. Cedict jour nous feismes quelques quatre lieues par delà lesdictes Trois Rivieres. Le Mardy ensuyvant, nous vinsmes à Québec, & le lendemain, nous fusmes au bout de l'isle d'Orléans, où les sauvages vindrent à nous, qui estoient cabannez à la grande terre du Nort. Nous interrogeasmes deux ou trois Algoumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec ceux que nous avions interrogez touchant la fin & le commencement de ladicte riviere de Canadas.

Ils dirent comme ils l'ont figuré, que, passé le sault que nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une riviere en leur demeure, qui est en la bande du Nort, continuant le chemin dans ladicte grande riviere, ils passent un sault, où ils portent leurs canots, & viennent à passer cinq autres saults, lesquels peuvent contenir du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que lesdicts saults ne sont

Note 94: (retour) Dans cette phrase et la suivante, l'édition originale met, par inadvertance, le mois de juin au lieu de juillet.

45/109point difficiles à passer, & ne font que traîner leurs canots en la pluspart desdicts saults, hormis à deux, où ils les portent. De là, viennent à entrer dedans une riviere qui est comme une manière de lac, laquelle peut contenir comme six ou sept lieues; & puis passent cinq autres saults, où ils traînent leurs canots comme auxdicts premiers, hormis à deux, où ils les portent comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a quelques vingt ou vingt-cinq lieues. Puis viennent dedans un lac qui contient quelque cent cinquante lieues de long 95; & quelques quatre ou cinq lieues à l'entrée dudict lac, il y a une riviere 96 qui va aux Algoumequins vers le Nort, & une autre 97 qui va aux Irocois; par où lesdicts Algoumequins & Irocois se font la guerre. Et un peu plus haut à la bande du Su dudict lac, il y a une autre riviere 98 qui va aux Irocois; puis venant à la fin dudict lac, ils rencontrent un autre sault, où ils portent leurs canots, delà ils entrent dedans un autre très grand lac, qui peut contenir autant comme le premier. Ils n'y ont esté que fort peu dans ce dernier, & ont ouy dire qu'à la fin dudict lac, il y a une mer dont ils n'ont veu la fin, ne ouy dire qu'aucun l'aye veu; mais que là où ils ont esté, l'eau n'est point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point advancé plus haut; & que le cours de l'eau vient du costé du soleil couchant venant à l'Orient, & ne sçavent si passé le dits lacs qu'ils ont veu il y 46/110a autre cours d'eau qui aille du costé de l'Occident; que le soleil se couche à main droite dudict lac, qui est, selon mon jugement, au Norouest peu plus ou moins; & qu'au premier lac l'eau ne gelle point, ce qui me fait juger que le temps y est tempéré. Et que toutes les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort peu de bois; & du costé des Irocois est terre montaigneuse; neantmoins elles sont très bonnes & fertiles, & meilleures qu'en aucun endroict qu'ils ayent veu. Les Irocois se tiennent à quelque cinquante ou soixante lieues dudict grand lac. Voilà au certain ce qu'ils m'ont dist avoir veu, qui ne diffère de bien peu au rapport des premiers.

Note 95: (retour) Jusqu'ici, ce second rapport s'accorde passablement avec le premier, sauf les distances, qui diffèrent un peu.
Note 96: (retour) La rivière Trent et la baie de Quinte.
Note 97: (retour) La rivière Noire.
Note 98: (retour) La rivière de Cliouaguen, ou Oswego.

Cedict jour, nous fusmes proche de l'isle aux Coudres, comme environ trois lieues. Le Jeudy dudict mois, nous vinsmes à quelque lieue & demye de l'isle au Lievre, du costé du Nort, où il vint d'autres sauvages en notre barque, entre lesquels il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort voyagé dedans ledict grand lac: nous l'interrogeasmes fort particulièrement comme nous avions fait les autres sauvages. Il nous dict que, passé ledict sault que nous avions veu, qu'à quelques deux ou trois lieues il y a une riviere qui va ausdicts Algoumequins, où ils sont cabannez; & qu'allant en ladicte grande riviere, il y a cinq saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelque huict ou neuf lieues, dont il y en a trois où ils portent leurs canots, & deux autres où ils les traînent, que chascun desdicts saults peut tenir un quart de lieue de long. Puis viennent dedans un lac qui peut contenir quelque quinze lieues. Puis ils passent cinq 47/111autres saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelques vingt à vingt-cinq lieues, où il n'y a que deux desdicts saults qu'ils passent avec leurs canots; aux autres trois ils ne les font que traîner. Delà ils entrent dedans un grandissime lac qui peut contenir quelques trois cents lieues de long99. Advançant quelque cent lieues dedans ledict lac, ils rencontrent une isle qui est fort grande, où, audelà de ladicte isle, l'eau est salubre; mais que passant quelques cent lieues plus avant, l'eau est encore plus mauvaise; arrivant à la fin dudict lac, l'eau est du tout salée. Qu'il y a un sault qui peut contenir une lieue de large, d'où il descend un grandissime courant d'eau dans le dict lac100; que passé ce sault, on ne voit plus de terre ny d'un costé, ne d'autre, sinon une mer si grande qu'ils n'en n'ont point veu la fin, ny ouy dire qu'aucun l'aye veu. Que le soleil se couche à main droite dudict lac, & qu'à son entrée il y a une riviere qui va aux Algoumequins, & l'autre aux Irocois, par où ils se font la guerre. Que la terre des Irocois est quelque peu montaigneuse, neantmoins fort fertile, où il y a quantité de bled d'Inde, & autres fruicts qu'ils n'ont point en leur terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile.

Note 99: (retour) Quelque trois cents lieues de tour, et encore ce serait beaucoup.
Note 100: (retour) Malgré les inexactitudes qui précèdent, on ne peut s'empêcher de reconnaître ici la chute de Niagara.

Je leur demandis s'ils n'avoient point cognoissance de quelques mines. Ils nous dirent qu'il y a une nation qu'on appelle les bons Irocois 101, qui viennent pour troquer des marchandises que les vaisseaux françois 48/112donnent aux Algoumequins; lesquels disent qu'il y a à la partie du Nort une mine de franc cuivre, dont ils nous en ont montré quelques bracelets qu'ils avoient eu desdicts bons Irocois. Que si l'on y voulloit aller, ils y meneroient ceux qui seroient depputez pour cest effect.

Note 101: (retour) Les bons Iroquois étaient sans doute les Hurons, qui parlaient un dialecte de la même langue.

Voilà tout ce que j'ay pu apprendre des uns & des autres, ne se differant que bien peu, sinon que les seconds qui furent interrogez, dirent n'avoir point beu de l'eau salée, aussi ils n'ont pas esté si loing dans ledict lac comme les autres, & different quelque peu du chemin, les uns le faisant plus court, & les autres plus long: de façon que selon leur rapport, du sault où nous avons esté, il y a jusques à la mer salée, qui peut estre celle du Su, quelques quatre cents lieues. Sans doubte, suyvant leur rapport, ce ne doibt estre autre chose que la mer du Su, le soleil se couchant où ils disent.

Le Vendredy, dixiesme 102 dudict mois, nous fusmes de retour à Tadousac, où estoit nostre vaisseau.

Note 102: (retour) Le vendredi était le 11 du mois de juillet.





Voyage de Tadousac en l'isle Percée, description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la Baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouve plusieurs sortes de mines.

CHAPITRE X.

Aussitost que nous fusmes arrivez à Tadousac, nous nous embarquasmes pour aller à Gachepay, qui est distant dudict Tadousac environ cent lieues. Le treiziesme jour dudict mois, 49/113nous rencontrasmes une troupe de sauvages qui estoient cabannez du costé du Su, presque au milieu du chemin de Tadousac à Gachepay. Leur Sagamo qui les menoit s'appelle Armouchides, qui est tenu pour l'un des plus advisez & hardis qui soit entre les sauvages. Il s'en alloit à Tadousac pour troquer des flesches, & chairs d'orignac, qu'ils ont pour des castors & martres des autres sauvages Montaignes, Estechemains & Algoumequins.

Le 15e jour dudict mois, nous arrivasmes à Gachepay, qui est dans une baye, comme à une lieue & demye du costé du Nort103; laquelle baye contient quelque sept ou huict lieues de long, & à son entrée quatre lieues de large. Il y a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres; puis nous vismes une autre baye, que l'on appelle la Baye des Moluës104, laquelle peut tenir quelques trois lieues de long, autant de large à son entrée. De là l'on vient à l'Isle Percée, qui est comme un rocher fort haut, eslevée des deux costez, où il y a un trou par où les chaloupes & basteaux peuvent passer de haute mer; & de base mer, l'on peut aller de la grand'terre à laditte isle, qui n'en est qu'à quelques quatre ou cinq cens pas. Plus il y a une autre isle, comme au suest de l'isle Percée environ une lieue, qui s'appelle l'isle de Bonne-adventure, & peut tenir de long une demye lieuë. Tous cesdits lieux de Gachepay, Baye 50/114des Moluës & Isle Percée, sont les lieux où il se fait la pesche du poisson sec & verd.

Note 103: (retour) C'est-à-dire, comme à une lieue et demie du côté du nord de la baie.
Note 104: (retour) Cette baie est au sud de celle de Gaspé; on l'appelle aujourd'hui la Malbaie. Ce mot paraît être une corruption de l'expression anglaise Molue Bay. Dès 1545, Jean Alphonse parle de la baie des Molues et de toute cette côte, comme d'un lieu fréquenté depuis longues années pour l'abondance et l'excellente qualité de la pêche. «Et se est le poisson, dit-il, bien meilleur que celui de la dicte terre neufve.» (Cosmogr. univ.)

Passant l'Isle Percée, il y a une baye qui s'appelle la Baye de Chaleurs 105, qui va comme à l'ouest-sorouest quelques quatre vingts lieues 106 dedans les terres, contenant de large en son entrée quelques quinze lieues. Les sauvages Canadiens disent qu'à la grande riviere de Canadas, environ quelques soixante lieues rangeant la coste du Su, il y a une petite riviere qui s'appelle Mantanne, laquelle va quelques dix huict lieues dans les terres, & estans au bout d'icelle, ils portent leurs canots environ une lieue par terre, & se viennent rendre à laditte baye de Chaleurs, par où ils vont quelquefois à l'isle Percée. Aussi ils vont de laditte baye à Tregate 107 & à Misamichy 108.

Note 105: (retour) Ainsi nommée par Jacques Cartier en 1534. «Nous nommâmes laditte baye, la Baye de Chaleurs.» (Prem. Voy. de Cartier, Relat. originale, Paris, 1867.)
Note 106: (retour) Environ trente lieues.
Note 107: (retour) Tregaté, ou Tracadie. Ce lieu, qu'il ne faut pas confondre avec celui qui porte le même nom dans la Nouvelle-Écosse, est situé à mi-chemin environ entre la baie des Chaleurs et celle de Miramichi.
Note 108: (retour) Aujourd'hui, on dit Miramichi.

Continuant ladicte coste, on range quantité de rivieres, & vient-on à un lieu où il y a une riviere qui s'appelle Souricoua109, où le sieur Prevert a esté pour descouvrir une mine de cuivre. Ils vont avec leurs canots dans cette riviere deux ou trois jours, puis ils traversent quelque deux ou trois lieues de terre, jusques à laditte mine, qui est sur le bord de la mer du costé du Su. A l'entrée de laditte riviere, on trouve une isle 110 environ une lieue dans la mer; 51/115de laditte isle jusqu'à l'Isle Percée, il y a quelque soixante ou septante lieues. Puis continuant laditte coste, qui va devers l'Est, on rencontre un destroict qui peut tenir deux lieues de large & vingt-cinq de long111. Du costé de l'Est est une isle qui s'appelle Sainct Laurens 112, où est le Cap-Breton, & où une nation de sauvages appelez les Souricois hyvernent. Passant le destroit de l'isle de Sainct Laurens, costoyant la coste d'Arcadie113, on vient dedans une baye 114 qui vient joindre laditte mine de cuivre. Allant plus outre, on trouve une riviere 115 qui va quelques soixante ou quatre vingts lieues dedans les terres, laquelle va proche du lac des Irocois, par où lesdicts sauvages de la coste d'Arcadie leur vont faire la guerre. Ce serait un grand bien, qui pourroit trouver à la coste de la Floride quelque passage qui allast donner proche du susdict grand lac, où l'eau est salée, tant pour la navigation des vaisseaux, lesquels ne seroient subjects à tant de périls, comme ils sont en Canada, que pour l'accourcissement du chemin de plus de trois 52/116cens lieues. Et est très certain qu'il y a des rivieres en la coste de la Floride que l'on n'a point encore descouvertes; lesquelles vont dans les terres, où le pays y est très bon & fertille, & de fort bons ports. Le pays & coste de la Floride peut avoir une autre température de temps, plus fertille en quantité de fruicts & autres choses, que celuy que j'ay veu; mais il ne peut y avoir des terres plus unies ny meilleures que celles que nous avons veuës.

Note 109: (retour) Vraisemblablement, la rivière de Gédaïc, ou Chédiac. On l'appelait alors Souricoua, sans doute parce que c'était le chemin des Souriquois.
Note 110: (retour) L'île de Chédiac.
Note 111: (retour) Par le contexte, on voit que l'auteur parle du détroit de Canseau, qui n'a cependant ni autant de longueur, ni autant de largeur.
Note 112: (retour) Le nom de Cap-Breton a prévalu.
Note 113: (retour) Acadie. Il est possible que Champlain ait cru retrouver, dans ce mot, un nom de la vieille Europe; mais il ne tarda pas à revenir de cette idée, si toutefois ce n'est point ici une simple faute de typographie. La commission de M. de Monts, qui est du 8 novembre de cette année 1603, renferme, entre autres, le passage suivant: «Nous étans dés long temps a, informez de la situation & condition des païs & territoire de la Cadie...» On lit, dans Jean de Laet, en tête d'un chapitre de sa Description des Indes Occidentales: «Contrées de la Nouvelle-France qui regardent le Sud, lesquelles les François appellent Cadie ou Acadie.» Si nous tenons ce nom des premiers voyageurs français, il est très-probable qu'ils le tenaient eux-mêmes des sauvages du pays: car ce mot se retrouve dans plusieurs noms de l'endroit ou des environs, comme Tracadie, Choubenacadie, qui sont certainement d'origine sauvage.
Note 114: (retour) La baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy.
Note 115: (retour) La rivière Saint-Jean, que les sauvages appelaient Ouigoudi. (Voir édit. 1613, ch. III).

Les sauvages disent qu'en laditte grande baye de Chaleurs il y a une riviere qui a quelques vingt lieues dans les terres, où au bout est un lac116 qui peut contenir quelques vingt lieues, auquel y a fort peu d'eau; qu'en esté il asseiche, auquel ils trouvent dans la terre environ un pied ou un pied & demy, une manière de metail qui ressemble à de l'argent que je leur avois monstré; & qu'en un autre lieu proche dudict lac, il y a une mine de cuivre.

Voilà ce que j'ay appris desdicts sauvages.

Note 116: (retour) Probablement le lac Métapédiac. (Voir la carte de 1612.)




Retour de l'Isle Percée à Tadousac, avec la description des ances, ports, rivieres, isles, rochers, ponts, bayes & basses qui sont le long de la coste du Nort.

CHAPITRE XI.

Nous partismes de l'Isle Percée le dix neuf jour du dict mois pour retourner à Tadousac. Comme nous fusmes à quelques trois lieues du Cap l'Evesque 117, nous fusmes contrariez d'une tourmente, 53/117laquelle dura deux jours, qui nous feist relascher dedans une grande anse, en attendant le beau temps. Le lendemain, nous en partismes, & fusmes encores contrariez d'une autre tourmente. Ne voullant relascher, & pensant gaigner chemin, nous fusmes à la coste du Nort, le 28e jour de juillet, mouiller l'ancre à une anse qui est fort mauvaise à cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette anse118 est par les 51e degré & quelques minutes 119.

Note 117: (retour) La tradition, relativement à ce cap, ne paraît pas s'être bien conservée; on ne le trouve même pas mentionné dans la plupart de nos cartes modernes. Parmi les anciens géographes, les uns le placent à peu près à mi-chemin entre le cap des Rosiers et Matane, et les autres à quinze ou vingt lieues environ à l'est du cap Chate.
Note 118: (retour) Vraisemblablement la baie Moisie, à l'ouest de laquelle il y a un banc de rochers très-dangereux.
Note 119: (retour) Cette hauteur, qui est celle du détroit de Belle-Isle, est évidemment trop forte. Suivant Bayfield, le fond de la baie Moisie est à 50° 17'.

Le lendemain nous vinsmes mouiller l'ancre proche d'une riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, où il y a de pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demye de basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ai vu dans terre du costé de l'Est, il y a un sault d'eau qui entre dans ladicte riviere, & vient de quelque cinquante ou soixante brasses de haut; d'où procède la plus grand part de l'eau qui descend dedans. A son entrée, il y a un banc de sable, où il peut avoir de basse eau demy brasse. Toute la coste du costé de l'Est est sable mouvant; où il y a une poincte à quelque demy lieue 120 de ladicte riviere qui advance une demie lieue en la mer, & du costé de l'Ouest, il y a une petite isle. Cedict lieu est par les 50 degrez. Toutes ces terres sont très mauvaises, remplies de sapins. La terre y est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su.

Note 120: (retour) «A quelques deux lieues,» se trouve la pointe à la Croix. Il y a tout lieu de croire que le manuscrit portait deux lieues, et que le typographe aura lu demy lieue.

A quelques trois lieues, nous passasmes proche d'une 54/118autre riviere 121, laquelle sembloit estre fort grande, barrée neantmoins la pluspart de rochers. A quelques 8 lieues 122 de là, il y a une pointe 123 qui advance une lieue & demye à la mer, où il n'y a que brasse & demye d'eau. Passé cette poincte, il s'en trouve une autre 124 à quelque 4 lieues, où il y a assez d'eau. Toute cette coste est terre basse & sablonneuse.

Note 121: (retour) La rivière des Rochers, qui se jette dans la baie du même nom.
Note 122: (retour) «Dix-huit lieues.» (Voir la note suivante).
Note 123: (retour) Cette pointe doit être la pointe des Monts, qui est à environ dix-huit lieues de la baie des Rochers; car, dans tous ces parages, il n'y a pas d'autre pointe aussi considérable, et où il y ait si peu d'eau. Peut-être ne faut-il voir ici qu'une faute de typographie; cependant, il est possible aussi que l'auteur ait été trompé par les courants. Au bas de la pointe des Monts, il se fait, du côté du nord, comme un immense remous; de sorte que le vaisseau était porté sur la pointe, lorsque l'on croyait avoir à lutter contre la marée.
Note 124: (retour) Le cap Saint-Nicolas.

A quelque 4 lieues de là, il y a une anse où entre une riviere 125. Il y peut aller beaucoup de vaisseaux du costé de l'Ouest. C'est une poincte basse qui advance environ d'une lieue en la mer. Il faut ranger la terre de l'Est126 comme de trois cents pas pour pouvoir entrer dedans. Voilà le meilleur port qui est en toute la coste du Nort; mais il y faict fort dangereux y aller, pour les basses & bancs de fable qu'il y en a en la plupart de la coste prés de deux lieues en mer.

Note 125: (retour) La rivière de Manicouagan.
Note 126: (retour) Par rapport à la baie, ou à l'entrée de la rivière, il faudrait dire: «la terre du Nord.» Mais, par rapport au cours de la rivière même, l'expression est juste.

On trouve, à quelques six lieues de là une baye 127 où il y a une isle de sable. Toute laditte baye est fort batturiere, si ce n'est du costé de l'Est, où il peut avoir quelque 4 brasses d'eau. Dans le canal qui entre dans laditte baye, à quelque 4 lieues de là, il y a une belle anse, où entre une riviere. Toute 55/119cette coste est basse & sablonneuse. Il y descend un sault d'eau qui est grand. A quelques cinq lieues de là128, il y a une poincte qui advance environ demy lieue en la mer, où il y a une ance129; & d'une poincte à l'autre, il y a trois lieues, mais ce n'est que battures où il y a peu d'eau.

Note 127: (retour) La baie des Outardes.
Note 128: (retour) Une partie de ces cinq lieues doit se prendre dans l'entrée de la rivière aux Outardes; car, comme l'auteur le remarque un peu plus loin, la pointe aux Outardes et celle des Betsiamis ne sont guère qu'à trois lieues l'une de l'autre.
Note 129: (retour) La pointe, l'anse et la rivière portent le nom de Betsiamis.

A quelque deux lieues, il y a une plage où il y a un bon port & une petite riviere, où il y a trois isles130, & où des vaisseaux se pourroient mettre à l'abry.

Note 130: (retour) Les îlets de Jérémie.

A quelque trois lieues de là, il y a une poincte de sable qui advance environ une lieue, où au bout il y a un petit islet 131. Puis, allant à l'Esquemin132, vous rencontrez deux petites isles basses & un petit rocher à terre. Ces dictes isles sont environ à demy lieue de Lesquemin, qui est un fort mauvais port entouré de rochers & asseche de basse mer. Et faut variser pour entrer dedans au derrière d'une petite poincte de rocher, où il n'y peut qu'un vaisseau. Un peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans les terres, c'est le lieu où les Basques font la pesche des ballaines 133. Pour dire vérité, le port ne vaut du tout rien.

Note 131: (retour) Cette description ne peut guère convenir qu'à la pointe à Mille-Vaches, quoiqu'elle soit à environ neuf lieues des îlets de Jérémie. Comme il est difficile d'admettre que Champlain ait pu ne voir que trois lieues là où il y en avait neuf, il faut supposer ou bien qu'il y a eu quelque chose de passé dans le texte, ou bien que le manuscrit Portait un 9, que le typographe aura pu prendre pour un 3.
Note 132: (retour) Aujourd'hui, on dit: les Escoumins.
Note 133: (retour) Environ une lieue plus haut que les Escoumins, se trouve l'anse aux Basques.

Nous vinsmes de là audict port de Tadousac, le troisiesme d'aoust. Toutes ces dictes terres cy-dessus 56/120sont basses à la coste, & dans les terres fort hautes. Ils ne sont si plaisantes ny fertilles que celles du Su, bien qu'elles soient plus basses.

Voylà au certain tout ce que j'ay veu de cette ditte coste du Nort.





Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la guerre. Des sauvages Almouchicois & de leur monstrueuse forme. Discours du sieur de Prevert de Sainct-Malo sur la descouverture de la coste d'Arcadie; quelles mines il y a, & de la bonté & fertilité du pays.

CHAPITRE XII.

Arrivant à Tadousac, nous trouvasmes les sauvages que nous avions rencontrez en la riviere des Irocois, qui avoient faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois, lesquels se battirent contre dix autres de Montaignez, & apportèrent les testes des Irocois à Tadousac, & n'y eut qu'un Montaignez blessé au bras d'un coup de flèche, lequel songeant quelque chose, il falloit que tous les 10 autres le meissent à exécution pour le rendre content, croyant aussi que sa playe s'en doit mieux porter. Si ce dict sauvage meurt, ses parents vengeront sa mort soit sur leur nation, ou sur d'autres, ou bien il faut que les capitaines facent des presents aux parents du deffunct, affin qu'ils soyent contens, ou autrement, comme j'ay dict, ils useroient de vengeance, qui est une grande meschanceté entre eux.

57/121Premier que lesdicts Montaignez partissent pour aller à la guerre, ils s'assemblerent tous, avec leurs plus riches habits de fourrures, castors & autres peaux, parez de patenostres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent dedans une grand place publique, où il y avoit au devant d'eux un Sagamo qui s'appeloit Begourat, qui les menoit à la guerre; & estoient les uns derrière les autres, avec leurs arcs & flesches, massues & rondelles, de quoi ils se parent pour se battre, & alloient sautant les uns après les autres, en faisant plusieurs gestes de leurs corps, ils faisoient maints tours de limaçon. Après, ils commencèrent à danser à la façon accoustumée, comme j'ay dict cy-dessus, puis ils firent leur tabagie, & après l'avoir faict, les femmes se despouillerent toutes nues, parées de leurs plus beaux matachias, & se meirent dedans leurs canots ainsi nues en dansant, & puis elles se vindrent mettre à l'eau en se battant à coups de leurs avirons, se jettant quantité d'eau les unes sur les autres. Toutesfois elles ne se faisoient point de mal, car elles se paroient des coups qu'elles s'entre-ruoient. Après avoir faict toutes ces cérémonies, elles se retirèrent en leurs cabanes, & les sauvages s'en allèrent à la guerre contre les Irocois.

Le seiziesme jour d'aoust, nous partismes de Tadousac, & le 18 dudict mois arrivasmes à l'isle Percée, où nous trouvasmes le sieur Prevert, de Sainct Malo, qui venoit de la mine où il avoit esté134 avec 58/122beaucoup de peine, pour la crainte que les sauvages avoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont les Armouchicois, lesquels sont hommes sauvages du tout monstrueux pour la forme qu'ils ont135; car leur teste est petite, & le corps court, les bras menus comme d'un schelet, & les cuisses semblablement, les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue; & quand ils sont assis sur leurs talons, les genoux leur passent plus d'un demy pied par dessus la teste, qui est chose estrange, & semblent estre hors de nature. Ils sont neantmoins fort dispos & déterminez, & sont aux meilleures terres de toute la coste d'Arcadie136: aussi les Souricois les craignent fort. Mais, avec l'asseurance que ledict sieur de Prevert leur donna, il les mena jusqu'à laditte mine, où les sauvages le guidèrent 137. C'est une fort haute montaigne advançant quelque peu sur la mer, qui est fort reluisante au soleil, où il y a quantité de verd de gris, qui procède de laditte mine de cuivre; _____.

Note 134: (retour) Le sieur Prévert n'avait point vu par lui-même ce qu'il rapporte ici à Champlain; il s'était contenté d'envoyer deux ou trois de ses hommes, avec quelques sauvages, à la recherche des mines. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver beaucoup d'exactitude dans tout ce récit. «Il nous faut,» dit Lescarbot, liv. III, ch. XXVIII, «retourner quérir Samuel Champlein... afin qu'il nous dise quelques nouvelles de ce qu'il aura veu & ouï parmi les sauvages... Et afin qu'il ait un plus beau champ pour réjouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo qui l'attend à l'isle Percée, en intention de lui en bailler d'une; & s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaisante histoire du Gougou, qui fait peur aux petits Enfans, afin que par après l'Historiographe Cayet soit aussi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.» Il n'y a là-dessus qu'une remarque à faire: il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain, qu'à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu'il pouvait y avoir de vrai ou de faux dans les récits d'un homme dont il n'avait peut-être pas de raison alors de soupçonner la véracité.
Note 135: (retour) Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis; et, d'ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. «Les Armouchicois,» dit Lescarbot, «sont aussi beaux hommes (souz ce Mot je comprens aussi les femmes) que nous, bien composés & dispos...» (Liv. III, ch. XXIX.)
Note 136: (retour) Ce passage donnerait à entendre que, dans l'origine, on comprenait sous ce nom d'Acadie une bien plus grande étendue de côtes, puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu'au-delà du Kénébec; c'est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)
Note 137: (retour) Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.

Au pied de laditte montaigne, il dit que de basse eau 59/123il y avoit en quantité de morceaux de cuivre, comme il nous en a monstré, lequel tombe du hault de la montaigne. Passant trois ou quatre lieues plus outre, tirant à la coste d'Arcadie, il y a une autre mine, & une petite riviere qui va quelque peu dans les terres, tirant au Su, où il y a une montaigne qui est d'une peinture noire, de quoy se peignent les sauvages. Puis, à quelques six lieues de la seconde mine, en tirant à la mer environ une lieue proche de la coste d'Arcadie, il y a une isle où se trouve une manière de metail qui est comme brun obscur, le coupant il est blanc, dont anciennement ils usoient pour leurs flesches & cousteaux, qu'ils battoient avec des pierres; ce qui me fait croire que ce n'est estain ny plomb, estant si dur comme il est; & leur ayant monstré de l'argent, ils dirent que celuy de ladicte isle est semblable; lequel ils trouvent dedans la terre comme à un pied ou deux. Ledict sieur Prevert a donné aux sauvages des coins & ciseaux, & d'autres choses necessaires pour tirer de ladicte mine, ce qu'ils ont promis de faire, & l'année qu'il vient d'en apporter, & le donner audict sieur Prevert.

Ils disent aussi qu'à quelques cent ou 120 lieues il y a d'autres mines, mais ils n'osent y aller, s'il n'y a des françois parmy eux pour faire la guerre à leurs ennemis, qui les tiennent en leur possession.

Cedict lieu où est la mine, qui est par les 44 degrez & quelques minutes 138 proche de ladicte coste de l'Arcadie comme de cinq ou six lieues, c'est une 60/124manière de baye qui en son entrée peut tenir quelques lieues de large, & quelque peu davantage de long, où il y a trois rivieres qui viennent tomber en la grand'Baye proche de l'isle de Sainct Jean139, qui a quelque trente ou trente-cinq lieues de long, & à quelque six lieues de la terre du Su. Il y a aussi une autre petite riviere qui va tomber comme à moitié chemin de celle par où revint ledict sieur Prevert, où sont comme deux manières de lacs en cette dicte riviere. Plus y a aussi une autre petite riviere qui va à la painture. Toutes ces rivieres tombent en laditte Baye au Su-Est environ de laditte isle que lesdicts sauvages disent y avoir ceste mine blanche. Au costé du Nort de laditte Baye 140 sont les mines de cuivre, où il y a bon port pour des vaisseaux, & une petite isle à l'entrée du port. Le fonds est vase & sable, où l'on peut eschouer les vaisseaux.

Note 138: (retour) Si la description faite par le sieur Prévert, ou plutôt par ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain lui-même (voir édit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop faible; le bassin des Mines est tout entier au-delà du quarante-cinquième degré.
Note 139: (retour) Aujourd'hui l'île du Prince-Edouard.
Note 140: (retour) On croit reconnaître ici, avec Champlain (édit. 1613, ch. III), l'entrée ou le canal du bassin des Mines, l'île Haute, et le port ou havre à L'Avocat, où «le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.»

De ladicte mine jusques au commencement de l'entrée desdittes rivieres, il y a quelques 60 ou 80 lieues par terre. Mais du costé de la mer, selon mon jugement, depuis la sortie de l'isle de Sainct Laurent & terre ferme 141, il peut y avoir plus de 50. ou 60. lieues jusques à la ditte mine.

Note 141: (retour) De cette sortie, qui est évidemment le détroit de Canseau, jusqu'au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante lieues.

Tout ce païs est très beau & plat, où il y a de toutes les sortes d'arbres que nous avons veus allant au premier sault de la grande riviere de Canadas, fort peu de sapins & cyprez.

61/125Voylà au certain ce que j'ay apprins & ouy dire audict sieur Prevert.





D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou,
& de nostre bref & heureux retour en France.

CHAPITRE XIII.

Il y a encore une chose estrange, digne de reciter, que plusieurs sauvages m'ont asseuré estre vray142: c'est que, proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, est une isle où faict residence un monstre espouvantable que les sauvages appellent Gougou, & m'ont dict qu'il avoit la forme d'une femme, mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ils me disoient que le bout des mats de nostre vaisseau ne luy fust pas venu jusques à la ceinture, 62/126tant ils le peignent grand; & que souvent il a devoré & devore beaucoup de sauvages; lesquels ils met dedans une grande poche, quand il les peut attraper, & puis les mange; & disoient ceux qui avoient esvité le péril de ceste malheureuse beste, que sa poche estoit si grande, qu'il y eust pu mettre nostre vaisseau. Ce monstre faict des bruits horribles dedans ceste isle, que les sauvages appellent le Gougou; & quand ils en parlent, ce n'est que avec une peur si estrange qu'il ne se peut dire plus, & m'ont asseuré plusieurs l'avoir veu. Mesme ledict sieur Prevert de Sainct Malo, en allant à la descouverture des mines, ainsi que nous avons dict au chapitre précèdent, m'a dict avoir passé si proche de la demeure de ceste effroyable beste, que luy & tous ceux de son vaisseau entendoient des sifflements estranges du bruit qu'elle faisoit, & que les sauvages qu'il avoit avec luy, luy dirent que c'estoit la mesme beste, & avoient une telle peur qu'ils se cachoient de toute part, craignant qu'elle fust venue à eux pour les emporter & qu'il me faict croire ce qu'ils disent, c'est que tous les sauvages en général la craignent & en parlent si estrangement, que si je mettois tout ce qu'ils en disent, l'on le tiendroit pour fables; mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable qui les tourmente de la façon. Voylà ce que j'ay appris de ce Gougou.

Note 142: (retour) Les premiers voyageurs qui abordèrent aux côtes du nouveau monde étaient bien disposés à y trouver un ordre de choses tout différent de celui du monde ancien; et Champlain tout le premier, en parcourant des régions encore à peu près inexplorées, pouvait croire trop facilement à l'existence de monstres fabuleux. Cependant, si l'on considère ce récit dans son ensemble, on verra qu'il ne fait guère que rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Prévert étaient unanimes à raconter. Mais, de ce qu'il admettait volontiers l'existence du fait, il ne s'ensuit pas qu'il ait cru tout ce qu'on disait de ce prétendu monstre. C'est ce que prouve assez la réflexion par laquelle il termine: «Mais je tiens que ce soit (qu'il faut que ce soit) la residence de quelque diable qui les tourmente de la façon.» Et Lescarbot lui-même, après avoir employé plus de deux pages à expliquer les causes des fausses visions & imaginations, et à prouver que le Gougou, c'est proprement le remord de la conscience, finit aussi par dire: «Et n'est pas incroyable que le diable possédant ces peuples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais proprement, & à dire la vérité, ce qui a fortifié l'opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de même aloy, disant qu'il avoit veu un Sauvage jouer à la croce contre un diable, & qu'il voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le diable il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir à l'entendre, faisoit semblant de le croire, pour lui en faire dire d'autres... Or si ledit Champlein a été credule, un sçavant personnage que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus grand'faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la paix imprimée l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein sans nommer son autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois & du Gougou pour bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable jouant à la croce eût aussi été imprimé, il l'eût creu, & mis par escrit, comme le reste.»

Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en France, un des Sagamo des Montagnez, nommé Bechourat143, donna son fils au sieur du Pont, 63/127pour l'emmener en France, & lui fut fort recommandé par le grand Sagamo Anadabijou, le priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu. Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu'ils vouloient manger, laquelle ils nous donnèrent, & l'avons aussi amenée avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amené quatre sauvages: un homme qui est de la coste d'Arcadie, une femme & deux enfans des Canadiens.

Note 143: (retour) Très-probablement le même que Begourat mentionné plus haut. On sait que dans certaines écritures de l'époque de Champlain les deux lettres ch avaient beaucoup de ressemblance avec le g.

Le 24e jour d'aoust, nous partismes de Gachepay, le vaisseau dudict sieur Prevert & le nostre. Le 2e jour de septembre, nous faisons estat d'estre aussi avant que le cap de Rase. Le cinquième jours dudict nous entrâmes sur le banc où se fait la pesche du poisson. Le 16 dudict mois nous estions à la sonde qui peut estre à quelques 50 lieues d'Ouessant Le 20 dudict mois, nous arrivasmes, par la grâce de Dieu, avec contentement d'un chascun, & tousjours le vent favorable, au port du Havre-de-Grace.



FIN.

Fin du Tome II. (la page suivante est la page 130 qui est la page couverture du Tome III.)